La négociation, c’est vital!

La négociation, c’est vital!

Membre du comité exécutif national de l’APTS, Mélanie Bernier est notamment co-responsable de la négociation nationale et de l’équité salariale. Elle est au cœur des discussions avec le Conseil du trésor dans le cadre des présentes négociations du secteur public.

Pour Mélanie Bernier, il est plus que temps qu’il y ait un sérieux rattrapage salarial.

Comment se passent les négociations auxquelles vous participez?

Le ton était déjà donné à l’automne 2019. Avant la pandémie, avec des surplus budgétaires inégalés dans les coffres, les offres du gouvernement étaient ridiculement basses. Elles ne couvraient même pas l’inflation et ne prenaient pas en compte le retard salarial des employé·e·s de l’État, très majoritairement des femmes, qui voient pourtant leur pouvoir d’achat s’effriter depuis 20 ans.

Contrairement aux secteurs occupés majoritairement par des hommes, ceux de l’éducation, de la santé et des services sociaux sont toujours perçus comme une source de dépenses plutôt que de placement. Et dans l’esprit des gens, il faut réduire les dépenses. Les dépenses d’infrastructures sont quant à elles toujours vues comme un stimulant pour l’économie et la main-d’œuvre dans ces secteurs, majoritairement masculine, bénéficie d’une rémunération globale de beaucoup supérieure à ce qui est consenti aux travailleur·se·s de l’État, qui participent pourtant à la santé de notre économie! Le rapport de recherche de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) que l’APTS a commandé en 2019 a démontré clairement l’existence de cette discrimination salariale. Pour toutes ces raisons, il est plus que temps qu’il y ait un rattrapage salarial.

Les négociations sont-elles différentes en raison de la pandémie?

Dès le début du confinement, le Conseil du trésor s’est lancé dans une valse-hésitation, annonçant un jour vouloir suspendre les négociations pour nous demander deux jours plus tard d’amorcer un blitz. Dans les faits, nous avons plutôt dû négocier les mesures de sécurité, les équipements de protection individuelle, les conditions de travail des travailleuses enceintes et des personnes immunodéprimées et les quarantaines, en dépit des avis de la santé publique et sous la pluie d‘arrêtés ministériels limitant les droits des salarié·e·s. Se sont ajoutées les négociations ardues autour de l’assignation des primes, dont on a privé nos membres travaillant en zones chaudes. Une aberration après l’autre!

Pendant ce temps-là, en conférence de presse, le premier ministre affirmait sur un ton rassurant que tout allait bien, que travailleuses et travailleurs étaient protégé·e·s. Je n’insisterai pas sur toutes les contradictions observées entre le discours des conférences de presse et la réalité sur le terrain.

Le premier ministre Legault négocie sur la place publique. D’autres l’ont fait avant lui, mais cette fois-ci les points de presse quotidiens lui ont donné une tribune sans pareille.


Comme le veut la tradition, on blâme les syndicats pour l’état du réseau et la pénurie de personnel, dont les préposé·e·s aux bénéficiaires.

J’ai été particulièrement choquée de voir que les constats de l’armée appelée en renfort étaient accueillis avec plus de légitimité que les dénonciations faites depuis des lustres par les syndicats et les proches aidantes. On avait l’impression que le salut allait venir de l’armée, l’institution masculine par excellence, alors que le réseau est porté à bout de bras par une majorité de femmes depuis toujours. Je ne dis pas que l’apport de l’armée n’était pas nécessaire, il est évident qu’on manque de bras dans les CHSLD, mais ce n’est certainement pas parce les syndicats refusent de voir augmenter le salaire des préposé·e·s. Ce recours à des justifications biaisées à des fins politiques est choquant.

Comment envisager la suite des choses?

Ce qui est préoccupant, c’est que les surplus budgétaires disparaissent à vue d’œil. Le Conseil du trésor mise là-dessus pour nous amener à considérer ses offres dérisoires, laissant entendre qu’il pourrait devoir les retirer si nous tardons trop à conclure.

C’est un chantage éhonté! Lors des négociations du secteur public, il n’y a jamais assez d’argent pour les travailleur·se·s. Les surplus historiques ont été accumulés en bonne partie grâce aux sacrifices imposés au personnel des services publics sous prétexte d’austérité et aux compressions associées à la réorganisation du système de santé et de services sociaux. Un réinvestissement est promis mais il est à craindre qu’il ne vise que les CHSLD. Ils en ont bien besoin mais d’autres missions sont très fragilisées. Des réinvestissements massifs sont nécessaires dans la totalité du réseau. Il faut garder en tête tous les dysfonctionnements que la crise sanitaire a dévoilés.

Des augmentations substantielles pour l’ensemble du réseau permettraient de résoudre le problème grandissant d’attraction et de rétention du personnel, dont la solution ne se limite pas à une augmentation de salaire. Les conditions de travail doivent redevenir attractives, il faut prévenir l’épuisement et la surcharge. C’est ainsi qu’on intéressera les jeunes à faire carrière en santé et services sociaux.

Comment ne pas sombrer dans le défaitisme?

Heureusement, la pandémie de coronavirus ne génère pas que des craintes et des appréhensions. C’est aussi le théâtre de gestes touchants et d’élans de solidarité. Elle a mis à jour les failles du réseau de la santé et des services sociaux, mais elle a aussi permis de démontrer l’importance du travail de nos professionnel·le·s et technicien·ne·s.

Il faut se solidariser, se mobiliser pour négocier les meilleures conditions de travail pour nos membres. Ce n’est pas une crise qui va nous empêcher de nous faire entendre. Les nombreuses mobilisations autour de l’enjeu des vacances le démontrent. C’est ensemble que nous portons notre négociation, celles des 56 000 membres de l’APTS.

Photo principale : Depuis la fin mai, l’APTS a tenu trois conseils généraux à distance, notamment pour discuter avec les équipes locales des développements de la négociation. En temps de pandémie, la démocratie syndicale aussi doit se réinventer.

 

Propos recueillis par Élaine Giroux | 17 juin 2020