Nouvelle preuve de la discrimination salariale envers les femmes

Nouvelle preuve de la discrimination salariale envers les femmes

Une récente étude démontre un écart de rémunération de 24 % entre le personnel de l’administration publique (composé de 72 % de travailleuses), soit la fonction publique, l’éducation, la santé et les services sociaux, et celui d’entreprises publiques comme Hydro-Québec, Loto-Québec et la Société des alcools du Québec, majoritairement masculin.

Nous avons demandé à Marie-Claude Raynault (MCR) et Élaine Giroux (ÉG), respectivement responsable politique et coordonnatrice de l’action féministe à l’APTS, de nous présenter cette étude de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) et d’en commenter les résultats, dévoilés le 13 février dernier.

 

 BleuAPTS : D’où vous est venue l’idée de suggérer à l’IRIS de mener une telle recherche?

ÉG : D’une intuition… féministe. (Rires).

MCR : D’une impression, devenue conviction, basée sur les résultats des négociations des 20 dernières années et sur la rigueur budgétaire des gouvernements successifs. Quand on applique une grille d’analyse féministe, on voit que l’État considère les budgets consentis à la santé et aux services sociaux, à l’éducation et à la fonction publique comme des dépenses à réduire sans égard au fait que ces missions sont essentielles à la société, qu’elles génèrent des retombées économiques importantes partout au Québec, que les femmes qui y œuvrent méritent d’être rémunérées de façon juste pour le travail qu’elles font ‒ et les hommes aussi, évidemment.

Il en est tout autrement du discours relatif aux choix budgétaires dans les secteurs fortement masculins : on parle alors d’investissements. Ce sont des choix qui semblent généralement plus justifiés que ceux qui visent les services publics. Pourtant, c’est investir dans notre société que de reconnaître à sa juste valeur le travail des gens qui y travaillent.

ÉG : Une autre étude de l’IRIS démontre que les femmes ont subi les effets des mesures d’austérité 30 % de plus que les hommes et que ceux-ci ont profité deux fois plus des réinvestissements gouvernementaux. C’est consternant!

BleuAPTS : Pourquoi avoir fait appel à l’IRIS pour cette étude?

MCR : Nous avons confié cette étude à l’IRIS après avoir consulté quelques chercheures qui nous ont confirmé que le phénomène était encore peu documenté et devait être démontré. L’IRIS s’est montré très intéressé à s’y attaquer. Qui plus est, le recours à un organisme externe et réputé donne du poids et de la crédibilité aux résultats.

BleuAPTS : L’intuition féministe est-elle validée par les résultats?

ÉG : Malheureusement, oui! À 24 %, l’écart s’avère même plus élevé que prévu. Il faut dire que les entreprises publiques auxquelles on se compare versent également à leur personnel des avantages indirects (tels le remboursement des cotisations aux ordres professionnels, des bonis ou des plans d’assurance payés), ce qui est rarement le cas dans les services publics. Souvent camouflés, ces avantages gonflent les écarts.

BleuAPTS : Est-ce à dire que les hommes travaillant dans ces secteurs « masculins » sont trop payés?

ÉG : Le but n’est jamais de prétendre qu’un groupe est surpayé. Ce type de raisonnement ne profite à personne sauf aux employeurs, qui pourraient être tentés de niveler par le bas. L’intérêt est de démontrer que, même si l’égalité est une valeur primordiale au Québec et qu’il y a une loi sur l’équité salariale, les femmes gagnent encore 89,8 % du salaire horaire moyen des hommes. Et on apprend maintenant qu’au sein même de l’État québécois, l’écart de rémunération entre les milieux à prépondérance masculine et ceux à prépondérance féminine est encore plus grand.

BleuAPTS : Mais la facture ne risque-t-elle pas d’être très salée pour faire disparaître cet écart?

MCR : Les personnes qui travaillent dans les services publics n’ont pas à tolérer une telle discrimination salariale pour avoir choisi de travailler dans des domaines qui s’inscrivent dans le prolongement du travail non rémunéré des femmes (prendre soin, enseigner) avant leur entrée massive sur le marché du travail. Ces emplois requièrent des habiletés dont la valeur a été, et est encore, sous-évaluée. Le prix de la vocation des femmes est enfin chiffré. Il ne peut plus être ignoré.

De plus, l’étude démontre que c’est le seul secteur au Québec dont les membres ont subi une perte de leur niveau de vie au cours des deux dernières décennies. Cet écart s’agrandira si rien n’est fait. Quand il est question de la rémunération des quelque 22 000 médecins québécois il y a de l’argent à profusion, mais pas pour les 543 600 travailleuses et travailleurs et leurs familles? L’injustice ne doit plus être tolérée par les femmes.

BleuAPTS : Quelles seront d’après vous les retombées de cette étude?

MCR : Nous espérons qu’elle contribuera à renverser l’idée préconçue selon laquelle le personnel de l’administration publique bénéficie de conditions de travail et d’une rémunération enviables. Maintenant que la discrimination est démontrée, on s’attend à ce que le gouvernement se penche sérieusement sur les façons d’évaluer et de rémunérer équitablement le travail de ses employé·e·s, qu’il prenne les moyens de s’assurer qu’il n’y a plus de discrimination salariale fondée sur le genre.

Du fait qu’il dicte les lois, le gouvernement doit donner l’exemple. Il doit s’assurer qu’aucune disparité de traitement ne persiste au sein du secteur public. Au bénéfice des travailleuses, bien entendu, mais aussi des hommes qui y travaillent et qui subissent ce désavantage salarial. Si le plus important employeur du Québec ne prend pas les moyens pour éliminer la discrimination salariale, comment espérer que les autres travailleuses obtiennent justice?

L’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), un institut de recherche indépendant et progressiste, a été fondé à l’automne 2000. Son équipe de chercheur·e·s se positionne sur les grands enjeux socio-économiques de l’heure et oppose un contre-discours aux perspectives que défendent les élites économiques.

Rédaction Chantal Mantha | Illustration Christiane Beauregard | 21 février 2019