Quel avenir pour la psychothérapie dans les services de première ligne?

Quel avenir pour la psychothérapie dans les services de première ligne?

Alors que se poursuit dans la région de la Mauricie et du Centre-du-Québec le deuxième projet pilote prévu dans le cadre de l’implantation du Programme québécois de psychothérapie pour les troubles mentaux, vers quel type de pratique se dirige-t-on?

Dans le réseau public, les psychologues et les autres professionnel·le·s habilité·e·s à faire de la psychothérapie sont appelé·e·s quotidiennement à rétablir cet équilibre fragile entre offrir à leurs patient·e·s des épisodes de services d’une durée suffisante pour reprendre pied ou permettre aux personnes qui sont sur la liste d’attente depuis des mois, voire une année, d’accéder à leurs services. Entre les considérations cliniques et administratives, entre les règles déontologiques intégrées depuis leur formation et les balises ministérielles transmises par les gestionnaires, la marge de manœuvre est mince.

Les limites de faire plus avec moins

La pression pour réduire le volume de demandes en attente incite les gestionnaires à prendre des mesures très impopulaires auprès des professionnel·le·s. Plusieurs établissements soumettent les intervenant·e·s à l’assignation automatique de dossiers depuis quelques années. Certaines équipes ont protesté via leur instance syndicale et obtenu de fonctionner sur une base volontaire en reconnaissant à l’employeur son droit de gérance. Le dépassement de la limite ministérielle de 12 à 15 séances de psychothérapie est encore toléré dans plusieurs établissements pour les cas plus difficiles, sur la base du jugement clinique des psychologues. Mais ce n’est pas le cas partout.

Certain·e·s professionnel·le·s nous confient que leurs fenêtres d’intervention sont de plus en plus limitées et les cas de plus en plus lourds. D’autres craignent de se voir imposer une gestion statistique qui viendrait gruger ce qu’il leur reste d’autonomie professionnelle et dénaturer leur travail.

Car déjà, les modalités d’intervention sont dictées par le besoin de faire toujours plus… avec moins. Ainsi, on tend à demander aux psychologues d’animer des groupes de gens confrontés aux mêmes problèmes, une approche très en vogue. Or ce travail avec des groupes, qui s’apparente à de l’autogestion des soins ou à de l’éducation psychologique, n’est plus de la psychothérapie à proprement parler. Le groupe peut être un levier thérapeutique très fort mais son efficacité dépend des cas et des conditions. Il faut s’en servir pour les bonnes raisons et non pas comme une soupape quand la demande déborde.

Y aurait-il, est-on alors en droit de se demander, un glissement systémique visant à évacuer la psychothérapie des services de première ligne?

Élargir l’accès, mais à quoi?

À première vue une bonne nouvelle pour élargir l’accès à la psychothérapie, la mise en place du Programme québécois de psychothérapie pour les troubles mentaux (PQPTM) soulève questions et inquiétudes. Car pour parvenir à offrir le programme dans l’ensemble du réseau, le ministère voudra baliser les pratiques et limiter encore plus le nombre de séances offertes. Il ne faudrait certes pas en faire l’équivalent d’un Programme d’aide aux employés (PAE)… étatisé. Les psychologues n’apprécieraient certainement pas de voir leur rôle limité à l’application de standards développés dans le cadre de ce programme.

Déjà que les équipes des différents établissements à l’intérieur d’un même centre intégré doivent harmoniser leurs pratiques. L’étape suivante sera-t-elle l’imposition d’outils d’évaluation générant par algorithmes la réponse toute faite à fournir aux patient·e·s pour apaiser leurs tourments? L’administration du réseau serait bien mal avisée de pousser trop loin dans cette voie si elle veut retenir les psychologues dans le réseau public. Une importante pénurie se fait déjà sentir dans l’ensemble du Québec et les conditions de pratique constituent l’un des facteurs en cause, après les séquelles des années d’austérité.

Résister aux économies de bouts de chandelle

Des psychologues ont déjà exprimé leur frustration de se voir obligé·e·s de réduire les durées de suivi. Pourtant la preuve est faite que lorsqu’on les laisse faire leur travail, les coûts ne sont pas supérieurs mais, au contraire, largement compensés par des économies de frais de santé de l’ordre de 10 %. C’est ce qu’une vaste étude réalisée en Allemagne a démontré, étude citée par l’Institut national d’excellence en santé mentale (INESSS, 2018). Les économies enregistrées en Allemagne ne résultaient pas de la restriction de durées de suivi de la psychothérapie. Au contraire, elles ont été observées dans le contexte de suivis d’une durée moyenne de 30 rencontres.

Un deuxième exemple plaide en faveur d’une marge de manœuvre significative des psychologues, celui de la Suède, qui démontre que la psychothérapie à court terme à tout prix est une utopie dangereuse. Après deux ans et un gaspillage de 300 millions de dollars, on s’est rendu compte de l’inefficacité, voire du caractère nuisible, de protocoles manualisés inspirés d’approches cognitivo-comportementales tronquées. Tout·e professionnel·le clinicien·ne, peu importe son approche, doit pouvoir utiliser son jugement clinique. Et les personnes qui les consultent doivent pouvoir bénéficier de l’approche et de la durée de suivi qui leur conviennent.

De toute évidence, les gestionnaires et les décideurs publics gagneraient à comprendre le sérieux de la profession de psychologue et de l’acte de psychothérapie. La définition et les paramètres des soins de santé mentale et des services psychologiques doivent être déterminés en étroite collaboration avec ceux et celles qui exercent la profession. Ce n’est que dans ces conditions que le nouveau programme, à titre d’exemple, pourra porter tous ses fruits.

Rédaction Chantal Mantha | Collaboration Audrée Debellefeuille Dunberry