Pourquoi craindre la standardisation des soins en santé mentale?

Pourquoi craindre la standardisation des soins en santé mentale?

En réponse aux consultations ministérielles sur l’impact de la pandémie sur la santé mentale, l’APTS a produit un avis en février dernier. Nous nous y penchions notamment sur l’incidence du Programme québécois pour les troubles mentaux sur la pratique professionnelle. Y a-t-il matière à s’inquiéter?

Cet article a été initialement publié en 2021. Depuis, un sondage mené par l’APTS auprès de 3 000 membres œuvrant en santé mentale – dont plus de 700 pratiquent déjà dans le cadre du Programme québécois pour les troubles mentaux (PQPTM) – nous révèle notamment que trois psychologues sur 4 considèrent que celui-ci diminue la qualité des soins en santé mentale. Pour en savoir plus, consultez notre Dossier de l’heure consacré au programme.

Créé initialement en 2018 − sous Gaétan Barette − pour améliorer l’accès à la psychothérapie, le Programme québécois pour les troubles mentaux (PQPTM)  donne des sueurs froides à plusieurs professionnel·le·s œuvrant en santé mentale, qui voient dans son implantation une menace à leur autonomie et à leur jugement professionnel. Importées du programme britannique Improving Access to Psychological Therapies (IAPT), les nouvelles pratiques qu’il préconise auraient pour effet de standardiser l’approche des professionnel·le·s en déployant un cadre de soins par étape d’intensité variable, allant des autosoins, du monitorage en continu et des groupes de soutien à la psychothérapie. Le programme britannique a un objectif avoué : le retour au travail et non pas la guérison. Cette approche rappelle à plusieurs intervenant·e·s nos critères de performance visant à fermer les dossiers le plus rapidement possible. L’IAPT a été très critiqué quant à son impact sur les intervenant·e·s et sur l’efficacité du traitement pour la population visée.

Les psychologues britanniques auraient vécu un réel traumatisme à la suite de son implantation, rapportant un taux d’épuisement professionnel de 50 % à 66 % selon une étude de 2017. La mécanisation des tâches et la pression organisationnelle pour prendre en charge un maximum de cas en seraient les causes. Cette pression aurait aussi altéré le climat de travail en réduisant la coopération entre professionnel·le·s.

On sait que le soutien clinique, la discussion entre professionnel·le·s et la variabilité des tâches favorisent un climat de travail sain. Or les équipes ont rapporté que ces éléments se faisaient de plus en plus rares au sein de l’organisation des soins en santé mentale. C’est une des raisons pour lesquelles nous craignons que l’importation de ces pratiques standardisées ne renforce l’approche en silo, qui limite déjà l’efficacité du réseau québécois.

Quant au taux de réussite du programme, le gouvernement britannique a lui-même conclu que 50 % des patient·e·s pris·es en charge n’auraient pas montré d’amélioration alors que d’autres études démontraient un taux de rétablissement se situant entre 10 % et 22 %. Convenons qu’on peut espérer mieux.

Problèmes relevés au Québec

Les présentations du PQPTM dans les établissements québécois mentionnent que les guides de l’intervenant·e qui y sont associés doivent être utilisés en complément du jugement professionnel. Sur le terrain cependant, on indique aux professionnel·le·s que l’adoption d’orientations différentes de celles recommandées par le guide, le recours à d’autres approches que la thérapie cognitivo-comportementale par exemple, pourrait « créer des problèmes ». Entre cette recommandation d’approche thérapeutique et l’imposition d’un cadre de pratique unique il n’y a qu’un pas, vite franchi.

Les aléas de la pandémie ont retardé le déploiement du PQPTM, ce qui nous a laissé un peu de temps pour examiner les problèmes liés à l’implantation du programme avant qu’elle ne soit généralisée dans le réseau.


Voici ce que nous ont rapporté les professionnel·le·s consulté·e·s :

Étapes de soins de basse à haute intensité Les autosoins, le monitorage en continu et les rencontres de groupe pourraient être mobilisés pour exclure du plan de traitement les soins de haute intensité, à l’insu de la personne concernée, qui serait retirée de la liste d’attente pour la psychothérapie. S’il s’avère par la suite que cette approche ne lui convient pas et que la psychothérapie est nécessaire, elle devra repartir de zéro dans le réseau. Ce système favorise donc le phénomène des portes tournantes, déjà critiqué par la Vérificatrice générale du Québec.

Approches thérapeutiques L’approche cognitivo-comportementale en est une parmi d’autres. Certain·e·s professionnel·le·s n’ont pas la formation nécessaire pour l’appliquer. Y recourir malgré tout les amènerait à déroger de leur code de déontologie. Et l’adhésion des professionnel·le·s à l’approche thérapeutique est primordiale pour la réussite de la thérapie. De plus, le PQPTM pourrait limiter le jugement professionnel en orientant l’approche à utiliser.

Jugement professionnel On craint aussi que l’évaluation et l’orientation au Guichet d’accès en santé mentale adulte soient teintées par l’objectif d’exclure la psychothérapie du plan de traitement en forçant les approches de basse intensité. Les intervenant·e·s s’inquiètent aussi de la surcharge et du dédoublement de travail qui pourraient découler de l’utilisation du logiciel spécifique prévu par le PQPTM pour la collecte de statistiques et de données. Les outils d’évaluation actuels sont déjà très abrégés et les codes de déontologie de nos membres prescrivent de s’abstenir de poser un diagnostic si l’évaluation est incomplète.

Approche brève, cadre restreint, surcharge Alors que la majorité des personnes suivies en psychothérapie au public présentent des troubles chroniques, le PQPTM semble viser les troubles ponctuels ou temporaires. Or les problèmes chroniques nécessitent plus de temps, de souplesse et d’intensité de service. Le PQPTM n’est pas conçu à cet effet puisqu’il préconise une approche brève dans un cadre fixe, limité à 10-15 séances.

Devant les multiples pièges à contourner et le risque élevé que ses membres offrant des services en santé mentale ne voient leur pratique professionnelle dans le réseau public altérée par l’implantation hasardeuse du PQPTM, l’APTS a élaboré une recommandation, incluse dans l’avis soumis à Lionel Carmant dans le cadre des consultations.

Nous y suggérons de mettre sur pied un comité paritaire, composé de représentant·e·s du ministère de la Santé et des Services sociaux, des ordres professionnels concernés, des patient·e·s ainsi que des syndicats représentant le personnel professionnel, afin d’évaluer l’implantation du PQPTM, d’identifier les problèmes soulevés par chacune des parties et de les résoudre. La balle est dans le camp du ministre délégué.

Vous offrez des services en santé mentale? Le PQPTM est en cours d’implantation dans votre établissement? Si vous considérez que votre autonomie professionnelle n’est pas respectée dans le cadre de la mise en œuvre du programme, votre équipe locale peut vous soutenir afin que l’organisation du travail se conforme à vos devoirs déontologiques.

Rédaction Étienne Guérette  |  Collaboration Chantal Mantha | 24 mars 2021