Dans les coulisses de la négociation avec le gouvernement

Dans les coulisses de la négociation avec le gouvernement

Depuis le début de 2020, le gouvernement Legault n’a fait aucune concession à la table de négociation. Il s’en tient à des positions qui représentent une détérioration des conditions de travail des membres de l’APTS, au risque de favoriser l’exode du personnel vers le secteur privé et de fragiliser encore plus le réseau public. Qu’y a-t-il derrière cette (mauvaise) stratégie du gouvernement?

Pour les négociations du secteur public, la loi québécoise prévoit qu’à partir du moment où une des parties en appelle à la médiation, celle-ci aura une durée de deux mois. L’APTS ayant sollicité l’intervention d’un·e médiateur·trice le 28 janvier dernier, la période de médiation arrive à terme sans avoir produit le résultat escompté, soit la conclusion d’une entente de principe. Bien que la médiation ait été souvent perçue dans le passé comme un passage obligé avant de pouvoir recourir à la grève pour faire pression sur le gouvernement, l’APTS l’a réclamée dans l’espoir d’un déblocage. La déception est profonde au sein de son équipe de négociation.

Composée de l’avocate, Sophie Cloutier, qui agit à titre de porte-parole à la table de négociation, du 1ervice-président de l’APTS, Emmanuel Breton, des personnes coordonnatrices au secteur de la négociation, Charles-Alexandre Bélisle et Véronique Papillon, et de deux membres libérées à cette fin, Karine Ferland et Diane Mathieu, l’équipe a cru sincèrement qu’au terme des nombreuses rencontres avec le médiateur, Jean Nolin, au cours desquelles les deux parties ont expliqué de nouveau leurs attentes respectives, une perspective commune aurait émergé.

« Les négociateurs patronaux ont les mêmes mandats depuis un an, explique Emmanuel Breton. Le gouvernement a décidé dès le départ qu’il allait prêter l’oreille aux demandes de certains titres d’emploi bien spécifiques, dans d’autres catégories que la nôtre. Il n’a élargi son écoute par la suite que pour inclure celles des centres jeunesse, de la catégorie 4, sous la pression médiatique créée par la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse. Mais même la perspective du rapport accablant de cette commission ne l’incite pas à revoir ses propositions dérisoires. »

Comment expliquer ce choix vraiment incompréhensible du gouvernement d’étirer ainsi la négociation, alors que la pandémie a révélé au grand jour les failles du réseau et la nécessité de soutenir le personnel? Comment expliquer dans ces conditions que le gouvernement rejette nos solutions?


« C’est la stratégie contre-productive appliquée au cours des négociations précédentes qu’on nous sert à nouveau, constate le responsable de la négociation de l’APTS, alors que la pandémie a mis en évidence les conséquences désastreuses de l’incurie des dernières décennies. Les problèmes perdurent, voire empirent, et le gouvernement applique les mêmes remèdes, parfaitement inefficaces, comme s’il n’apprenait pas des erreurs passées. »

C’est un message dévastateur qu’il envoie ainsi au réseau, la solution parfaite pour stimuler la démobilisation et la désertion, Emmanuel Breton est formel.

Des demandes légitimes et raisonnables

Les demandes sectorielles de l’APTS se veulent des solutions pour accroître le pouvoir d’attraction et de rétention du réseau de la santé et des services sociaux. Réclamer une pondération des charges de travail, entre autres en centre jeunesse, plus d’autonomie professionnelle et moins de « devoirs » statistiques en travail social, l’accès à de la formation pour suivre les développements scientifiques et technologiques, des mesures de conciliation famille-travail-études, des primes ajustées aux réalités de certains secteurs confrontés à des enjeux spécifiques, c’est une stratégie gagnante pour rendre le réseau public concurrentiel. Or il semble que les décideurs gouvernementaux s’accrochent à un modèle de gestion archaïque, basé sur des calculs mathématiques à courte vue.

« Ce n’est pas tout de mettre de l’argent pour ouvrir des postes, soutient Emmanuel Breton, encore faut-il donner aux personnes qualifiées l’envie de les obtenir. Sans amélioration des conditions de travail, ces investissements ne porteront pas fruit. » Le gouvernement doit enlever ses œillères et prendre en compte les options qu’offrent les entreprises privées et les agences de placement aux nouvelles personnes diplômées.

Certain·e·s croient même que c’est une stratégie gouvernementale délibérée d’obliger le réseau à recourir au personnel des agences, pour ainsi démanteler les services publics et paver la voie à leur privatisation.

D’autres pensent qu’en laissant les négociations stagner, le gouvernement Legault cherche à pousser les syndicats dans leurs derniers retranchements pour avoir le beau rôle face à l’opinion publique. Mais les syndicats n’ont plus d’option.

« On a tout essayé. On a les chiffres de notre côté, mais rien n’y fait. Il est vrai qu’en bloquant la progression des négociations pendant une si longue période, consent le vice-président de l’APTS, le gouvernement amène les syndicats à solliciter des mandats de grève auprès de leurs membres. M. Legault pense-t-il qu’imposer un décret au secteur public paraîtra moins odieux aux yeux de la population dans un contexte de grève imminente? Je ne peux pas croire que le gouvernement élu par les Québécois·es en soit arrivé à faire un calcul aussi mesquin, surtout après toutes les déclarations d’amour et de reconnaissance faites par le premier ministre au cours de la dernière année. »

C’est dans ce contexte troublant que les unités locales de l’APTS invitent actuellement leurs membres à se prononcer sur les moyens de pression à mettre en œuvre dans les mois à venir pour infléchir un gouvernement dont on espère qu’il finira par comprendre à quel point le personnel du réseau public de la santé et des services sociaux a vraiment son travail et le bien-être de la population desservie à cœur.

Rédaction Chantal Mantha  |  Collaboration Mathieu Le Blanc | 22 mars 2021