Une affaire de cœur

Une affaire de cœur

En mai dernier, une prestigieuse revue scientifique américaine présentait1 les résultats d’une étude démontrant que l’implantation d’appareils cardiaques recyclés ne comportait pas plus de risques d’infection que l’utilisation d’appareils flambant neufs. On retrouve en amont de cet article une histoire étonnante ayant pour protagoniste une membre de l’APTS.

L’étude de Thomas F. Khairy démontre qu’il n’y a aucun risque supplémentaire à implanter des pacemakers recyclés.

Thomas F. Khairy était en secondaire 3 au Loyola High School quand il a entrepris, dans le cadre d’un travail scolaire en sciences, d’étudier plus à fond un projet humanitaire mené par Marie-Andrée Lupien, agente de planification, de programmation et de recherche en techniques d’électrophysiologie à l’Institut de cardiologie de Montréal (ICM). Le jeune chercheur en herbe avait été impressionné par son travail bénévole visant à transférer vers des pays plus pauvres des appareils recueillis sur des personnes décédées, nettoyés et stérilisés.

À l’aide des registres précieusement conservés par Marie-Andrée Lupien, et avec la collaboration de chercheurs (son père est un éminent cardiologue de l’ICM), il a pu obtenir des données des hôpitaux mexicains, centraméricains et antillais ayant procédé à l’implantation des appareils recyclés pour savoir quelle avait été la suite des choses. La comparaison avec un groupe témoin ayant reçu des appareils neufs a fourni la preuve de l’innocuité de cette pratique.

Ayant eu l’audace de soumettre le résultat de sa recherche à la grande institution qu’est le New England Journal of Medicine, l’élève modèle a par la suite dû travailler fort pour répondre aux conditions exigeantes d’une publication qui ne rigole pas avec la rigueur scientifique. En entrevue il n’hésite pas à partager le mérite du succès de son entreprise avec celle qui la lui a inspirée.

Ce n’est pas la première fois qu’est mise en lumière l’œuvre portée par Marie-Andrée Lupien depuis 2007, créée en 1983 par le Dr Rafaël Castan, cardiologue d’origine dominicaine.


Plus d’un reportage lui ont été consacrés. Marie-Andrée a même contribué à la réalisation d’un court-métrage qui l’a menée au Mexique, où la caméra de Lisette Marcotte a suivi une jeune patiente atteinte d’un syndrome d’Henderson, causant une arythmie maligne, qui a pu recevoir un défibrillateur et ainsi poursuivre sa vie.

La jeune femme et sa famille habitaient un quartier extrêmement pauvre de la capitale, confie-t-elle.

«Au Mexique, raconte Marie-Andrée, ce sont les travailleuses sociales qui reçoivent les appareils et déterminent qui pourra en bénéficier, selon la condition clinique et économique de la personne.»

Seconde vie

Marie-Andrée Lupien poursuit bénévolement cette mission depuis 13 ans.

Depuis qu’elle a pris la relève de son collègue technicien Richard Cartier, qui a travaillé pendant 24 ans auprès du Dr Castan, pour sa part décédé en 2015, Marie-Andrée s’occupe de la réception, du lavage, de la désinfection et de la déprogrammation des stimulateurs cardiaques et des défibrillateurs. Après les avoir dûment inscrits dans un registre, elle les envoie dans l’un des quatre pays que couvre actuellement le programme, soit le Guatemala, le Honduras, le Mexique et la République dominicaine. Les receveur·e·s devront avoir fourni des renseignements détaillés sur les bénéficiaires avant de recevoir d’autres appareils. «Je fais un contrôle serré pour prévenir tout marché noir», explique-t-elle.

Ces précieux stimulateurs cardiaques proviennent des centres funéraires, qui doivent obligatoirement les retirer avant de disposer des corps qui leur sont confiés. «Quand j’ai commencé à m’en occuper, se souvient Marie-Andrée, la banque d’appareils était assez pauvre. Mais une annonce parue dans la revue des thanatologues a suscité un engouement certain auprès des maisons funéraires, qui ont vite renfloué la banque avec ces pacemakers dont ils ne savaient pas trop quoi faire.»

Choqué à la pensée que dans son pays d’origine des gens mouraient faute d’avoir les moyens d’accéder à la technologie médicale pendant qu’au Québec on jetait des appareils encore parfaitement fonctionnels, le Dr Castan aura eu une initiative durable. Quelque 37 ans plus tard, des milliers de vie auront été prolongées grâce au travail de quelques personnes convaincues et généreuses de leur temps.

«Chaque appareil recyclé, c’est une vie sauvée», rappelle Marie-Andrée Lupien.

1 « Infections Associated with Resterilized Pacemakers and Defibrillators », New England Journal of Medicine, mai 2020.

Rédaction Chantal Mantha | 18 JUIN 2020