Intervenante en centre jeunesse, regard sur une profession d’exception

Intervenante en centre jeunesse, regard sur une profession d’exception

Le 26 mai dernier, l’APTS livrait un vibrant témoignage dans le cadre des audiences publiques de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse1. Pour l’occasion, nous avons souhaité mettre en lumière le vécu des personnes salariées de la protection de la jeunesse. Entretien avec Natacha Pelchat, intervenante en centre de réadaptation et représentante nationale de l’APTS à Laval.

Natacha Pelchat

En tant qu’intervenante en encadrement intensif, Natacha accompagnait une unité d’hébergement regroupant jusqu’à douze jeunes de 13 à 17 ans avec des troubles de comportement plaçant leur propre sécurité à risque, que ce soit en raison de fugues répétées, de délits ou même de prostitution.

Ces adolescent·e·s aux besoins particuliers y sont hébergé·e·s pour un maximum de 30 jours. On évalue ensuite l’atteinte ou non des objectifs fixés lors de leur admission dans l’unité, en prolongeant leur séjour si elles ou ils ne vont pas mieux.

«Pour ces jeunes, c’est une occasion de s’arrêter, d’avoir du temps avec eux ou elles-mêmes, sans influence extérieure, et de cheminer pour revoir leur projet de vie», souligne Natacha.

Une profession qui exige de la détermination

Elle admet d’emblée qu’elle n’a pas choisi une carrière facile sur le plan humain, mais trouve beaucoup de motivation dans le fait d’aider concrètement des jeunes dont l’avenir dépend du soutien qu’on leur offre.

Elle déplore notamment la difficulté des intervenant·e·s en centre jeunesse d’avoir accès à des services, ne serait-ce que la consultation d’une psychologue pour leurs protégé·e·s ou le budget pour une inscription dans une équipe de basket-ball afin de les aider à se faire un nouveau cercle social, par exemple.

«Rendu·e·s en centre jeunesse, encore plus en encadrement intensif, les jeunes devraient avoir le droit de voir une psy! Des succès, on n’en vit pas beaucoup. On est là pour sauver des vies avant tout, mais il y a tellement d’obstacles administratifs sur notre chemin», témoigne-t-elle, frustrée par la rigidité du réseau.

Les ratios en centre de réadaptation sont exigeants pour les intervenant·e·s. On compte en effet deux éducatrices pour douze jeunes dans les unités. Il leur faut avoir des yeux tout le tour de la tête pour prévenir une crise, ou calmer le jeu lorsque c’est inévitable.

«Il est urgent d’investir pour ajouter des ressources dans les unités», estime Natacha.


Mais le recrutement est difficile, reconnaît-elle. Avant d’obtenir un poste permanent, les candidat·e·s passeront par la liste de rappel. Sans clientèle régulière avec qui tisser un lien, sans rémunération garantie et avec des horaires de travail atypiques, les gens ne se bousculent pas pour venir prêter main-forte en centre jeunesse. Pour couronner le tout, on a sabré dans le budget de remplacement pour réaliser des économies de bouts de chandelle. On n’offre plus que quatre ou cinq heures pour combler une absence d’une journée complète, par exemple.

«C’est vraiment un problème dans les centres jeunesse. Le manque de personnel met une pression énorme sur les épaules des intervenant·e·s, en plus de nous faire perdre notre temps de libération qui sert à rencontrer les jeunes, leur famille ou encore à faire le point avec les travailleuses sociales. On n’a plus ce temps-là, et ce sont pourtant des tâches essentielles», souligne Natacha, inquiète pour la relève. Selon elle, tout est là pour décourager les candidat·e·s qui choisiront plutôt des emplois moins exigeants et plus accessibles.

Les impacts de la réforme Barrette

Les centres jeunesse ressentent encore les effets de la dernière réforme du réseau. Natacha déplore l’alourdissement de la charge des gestionnaires et des spécialistes en activités cliniques. En doublant les unités sous leur responsabilité et en augmentant leur charge administrative, l’intégration dans les mégastructures que sont les CISSS et les CIUSSS a éloigné les cheffes de service des salarié·e·s et des jeunes sous leur aile.

«Avant, ma cheffe pouvait faire une intervention sur le plancher auprès des jeunes, parfois pour dépersonnaliser ou épauler les intervenant·e·s. Elle faisait partie de l’équipe. Ça ne se voit plus maintenant, elle est beaucoup trop dans le jus.»

Pour Natacha, l’amélioration des services jeunesse passe nécessairement par une revalorisation du rôle des intervenant·e·s, de meilleures conditions de travail, mais surtout une adaptation aux réalités particulières des salarié·e·s en centre jeunesse.


Ces particularités étaient auparavant reconnues dans leurs conditions d’exercice et de pratique. Mais en intégrant les centres jeunesse aux CISSS et aux CIUSSS, leurs conditions de travail ont été calquées sur celles du personnel professionnel et technique des autres secteurs. Et ce, malgré les demandes répétées de l’APTS de respecter le caractère exceptionnel du domaine de la protection de la jeunesse.

« Il nous faut pouvoir faire preuve de souplesse, c’est la qualité des services offerts qui en dépend. Tout le monde en sortira gagnant, autant les intervenant·e·s que les jeunes sous notre protection! », conclut-elle, avec l’espoir que les recommand-actions qui seront présentées par la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse donneront de l’air à ses collègues et permettront de remettre le bien-être des enfants au cœur des priorités.

1Vous pouvez consulter le mémoire soumis par l’APTS à la Commission.

Rédaction Maxime Clément | 18 juin 2020