Peut-on se protéger contre le stress au travail?

Peut-on se protéger contre le stress au travail?

« Prenez soin de vous », nous répète-t-on depuis des mois. Facile à dire… En cette période particulièrement stressante pour les salarié·e·s de la santé et des services sociaux, nous avons demandé à Manon Truchon, professeure en psychologie à l’Université Laval, de nous éclairer sur sa spécialité, le stress au travail.

À quoi attribuez-vous le stress au travail?

Il résulte d’un déséquilibre entre les demandes et les ressources. Il s’installe quand ce qu’on nous demande d’accomplir excède les ressources dont on dispose. Si ce déséquilibre perdure, il risque d’entraîner des problèmes de santé mentale et physique. Pensez aux demandes comme à des facteurs de risque et aux ressources comme à des facteurs de protection psychosociaux.

Quels sont ces facteurs de risque et de protection en temps de pandémie?

Nous ne le savons pas encore mais une collecte de données en cours devrait nous permettre d’apporter des réponses. Nos travaux récents et une pléthore de recherches sur le stress au travail précisent toutefois ce qu’étaient ces facteurs de risque et de protection avant la crise sanitaire.

Quels sont les facteurs qui génèrent du stress au travail?

Les principaux facteurs de risque psychosociaux sont la surcharge de travail; l’ambiguïté de rôle, c’est-à-dire la confusion entourant le qui fait quoi; l’exigence liée au numérique, quand on a trop d’information à traiter, qu’il faut apprendre à utiliser de nouveaux outils informatiques et gérer les bogues informatiques et l’abondance des courriels; la disponibilité en tout temps et en tout lieu ainsi que les dilemmes éthiques, soit quand on doit agir à l’encontre de nos valeurs. Contrairement aux risques chimiques ou biologiques comme celui d’être contaminé à la COVID-19, ces facteurs de risque psychosociaux ne peuvent pas toujours être éliminés à la source. Mais on peut avoir des « équipements de protection » pour y faire face.

Et on parle alors de facteurs de protection?

Oui. À ce sujet, nous avons récemment découvert que les facteurs de protection se situent à deux niveaux. Sur le plan organisationnel lié au climat de travail, les facteurs de protection sont un leadership bienveillant et transformationnel, la reconnaissance envers les gens et leur contribution à la mission, une culture empreinte d’éthique, respectueuse, transparente et juste ainsi qu’un climat de sécurité psychosociale. Ici on parle d’un milieu dans lequel les facteurs de stress au travail sont reconnus et pris en charge par l’employeur à l’aide de bonnes pratiques, de politiques et de procédures. À cela s’ajoutent le soutien social entre collègues et de la part des supérieurs ainsi qu’une gestion du changement proactive.

Vous parliez d’un deuxième niveau en matière de facteurs de protection?

Exact. Il se situe sur le plan occupationnel. Les facteurs de protection sont alors le sens du travail, la marge de manœuvre dont vous disposez dans la façon de réaliser le travail, la possibilité de suivre des formations utiles pour mieux le faire et, bien sûr, le plaisir que vous y prenez. À ces facteurs s’ajoutent la possibilité d’effectuer un travail de qualité, dans un milieu exempt d’incivilités, l’assurance de rester en poste, l’accès à des mesures de conciliation famille-travail-vie personnelle et tout ce qui a trait à l’organisation du travail.

En quoi l’organisation du travail peut-elle agir comme « protection »?

Par exemple, on se sent mieux quand les objectifs et les rôles sont clairs, quand il y a suffisamment de personnel et que les nouvelles recrues sont accueillies et bien formées, et aussi quand les instructions sont claires et cohérentes.

Qui doit en principe contrôler ces risques occupationnels?

En vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, ce devrait être l’employeur. Hélas, il y a une certaine confusion autour de la terminologie du stress occupationnel. « Je suis stressé », qui fait référence à un état individuel, est parfois confondu avec « Je suis confronté à des sources de stress dans mon environnement », qui fait plutôt référence aux causes, aux facteurs de risque psychosociaux. De la même manière que les risques biologiques peuvent engendrer une infection, les facteurs de risque psychosociaux peuvent engendrer un état de stress, de détresse psychologique et plusieurs autres symptômes. Il est essentiel que les employeurs les connaissent afin de les prévenir en amont.

Peut-on se protéger individuellement contre ces risques?

Bien sûr. Tout d’abord, en connaissant mieux ces facteurs de risque on peut en dresser le bilan. Il devient alors possible de s’unir pour réclamer que ces risques soient mieux pris en compte dans vos milieux respectifs. Il faut également faire preuve de bienveillance envers vos collègues et, surtout, envers vous-même. Car de ces risques peuvent émerger des conflits interpersonnels et des incivilités. Avant de blâmer l’autre, il faut se demander cinq fois plutôt qu’une pourquoi la personne a agi ainsi. La malveillance est rare mais les risques psychosociaux invisibles sont courants. Les reconnaître et en reconnaître les effets est un excellent antidote à ce mal.

Qu’est-ce qu’on risque à ne pas en tenir compte?

Les facteurs de risque psychosociaux mènent au mal-être au travail et se manifestent par plusieurs troubles de santé invalidants et coûteux tels les troubles psychologiques, cardiovasculaires et musculosquelettiques.

À l’opposé, la présence des facteurs de protection est associée au bien-être au travail, qui se manifeste par l’engagement, la vitalité, la vigueur et la satisfaction au travail.

Il est urgent de bien connaître ces facteurs invisibles, de les mesurer en milieu de travail avec les bons outils, et ce, pour pouvoir prendre des moyens aptes à préserver ou rétablir l’équilibre entre les demandes et les ressources.

L’équilibre demandes-ressources en temps de crise est-il possible?

La recherche sur les facteurs de risque en temps de pandémie permettra de répondre à des questions comme celle-ci, de voir si certains milieux s’en sortent mieux que d’autres et pourquoi. Elle contribuera à mieux se préparer à faire face à d’autres crises. Car autre crise il y aura. Les politiques publiques doivent être ajustées en conséquence pour mieux nous protéger collectivement.

Chose certaine, nous ne sommes pas tous égaux devant cette crise et ses effets sur le bien-être au travail. Les conditions sociodémographiques − comme l’âge, le salaire, les responsabilités familiales − et ergonomiques − les conditions dans lesquelles s’exerce le télétravail − ne sont que quelques exemples de variables qui peuvent nous rendre plus vulnérables. Selon le contexte, l’équilibre risque d’être plus précaire pour plusieurs, notamment à cause de la disparition quasi totale de la frontière entre la vie personnelle et professionnelle.

Propos recueillis par Chantal Mantha | photo Chantale Bouchard | 15 juin 2020