CHUs construits et gérés en PPP : des dés pipés dès le départ

CHUs construits et gérés en PPP : des dés pipés dès le départ

La formule PPP complique l’élimination des risques détectés en matière de santé et sécurité au travail dans les espaces des rutilants nouveaux centres hospitaliers de Montréal. Il est en effet difficile d’obtenir les autorisations pour apporter les correctifs nécessaires et les délais s’en trouvent allongés.

18 décembre 2018 | Présidente de l’unité APTS du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), Sandra Étienne en sait quelque chose. L’équipe syndicale n’en revient pas des difficultés rencontrées pour obtenir des mesures d’atténuation du bruit provenant d’un appareil de résonance magnétique ou l’ajustement de portes coupe-feu anormalement difficiles à ouvrir. Car en régime de partenariat public privé (PPP), tous les travaux doivent être approuvés et inspectés par le partenaire privé, et ce, même si les hôpitaux, jugeant que l’estimation des travaux faite par les consortiums privés est trop onéreuse, veulent en confier le contrat à une autre entreprise.

Ce n’est là qu’un petit exemple des aberrations associées à ces obscurs contrats de PPP. Le Journal de Montréal et TVA révélaient à la fin novembre les coûts exorbitants assumés au final par les contribuables pour l’entretien du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et du CHUM. Ainsi au CUSM, il en aurait coûté plus de 8 000 $ pour faire installer les prises électriques de deux congélateurs et environ 35 000 $ pour réaménager le bureau du directeur général et y ajouter une porte. Au CHUM, l’installation de guichets automatiques aurait été facturée 40 000 $ et la peinture du plancher de la morgue, 4 000 $. C’est que les partenaires privés peuvent inclure dans la facture des frais de gestion et des profits allant de 8 à 20 %, auxquels s’ajoutent des frais pour les sous-traitants. On parle d’un surplus possible de 26 %, juste parce qu’il s’agit d’un PPP.

C’est dans la nature même du modèle de gestion en PPP d’intégrer des coûts cachés de ce type. L’entrepreneur privé n’a pas à deviner l’imprévisible dans la planification de ses devis et peut ainsi facturer chaque petit imprévu comme s’il s’agissait d’un nouveau service.

Tout cela se passe sans aucune possibilité d’aller en appel d’offre car l’entrepreneur privé a l’exclusivité de l’entretien. Il peut gonfler le prix puisqu’il n’a pas à craindre la concurrence.


L’Angleterre a été confrontée à des aberrations du même type. Dans les hôpitaux en PPP, il en a coûté jusqu’à 500 $ pour changer une ampoule, 91 $ pour remplacer une clef ou encore 590 $ pour installer une prise de courant.

L’exemple anglais est pertinent puisque c’est dans ce pays que les PPP sont nés et se sont développés. Il n’est donc pas surprenant de voir la même dynamique se reproduire ici. Or, devant cette hémorragie financière, les Anglais ont choisi de racheter plusieurs contrats.

Racheter les contrats?

D’ailleurs, une étude réalisée par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) en 2014 démontrait que le rachat des deux PPP (CHUM et CUSM) pourrait générer des économies allant de quelques centaines de millions $, selon les hypothèses les plus conservatrices, jusqu’à 4 milliards $, dans le cas des hypothèses les plus réalistes. Malheureusement, on doit s’en tenir à des hypothèses en raison de l’extrême opacité de ces contrats.

Le gouvernement serait d’autant plus justifié de rompre le contrat du CUSM, par exemple, qu’il a été obtenu de manière frauduleuse. L’ex-directeur adjoint de l’établissement a d’ailleurs plaidé coupable, le 26 novembre dernier, à des accusations de fraude d’une valeur de 20 millions $. Cette affaire est considérée comme « la plus grande fraude de corruption de l’histoire du Canada ». L’ex-PDG de SNC-Lavalin et le président de sa division construction à l’époque ont versé 22,5 millions $ en pots-de-vin à deux hauts responsables du CUSM (Yanaï Elbaz et Arthur Porter, décédé depuis) pour rafler le contrat de 1,34 milliard pour la construction en PPP du CUSM.

Encore aujourd’hui, le CUSM lui-même reconnaît que les frais de SNC-Lavalin sont exorbitants et refuse de les payer en totalité. Le manque de transparence des contrats que l’APTS et ses partenaires au sein de la Coalition des CHUs sans PPP dénonçaient au début des projets est mis à jour actuellement et confirme les appréhensions d’alors : les travaux prévus ne correspondent pas nécessairement à ce dont on a réellement besoin au fil du temps.

Réagissant au versement de 233 millions $ par l’État québécois pour régler des litiges relatifs à des dépassements de coûts de construction du CHUM et du CUSM, Médecins québécois pour un régime public réclamait en janvier 2018 que les contrats avec ces consortiums soient rendus publics et que leur résiliation soit sérieusement envisagée, à tout le moins pour l’entretien. « Le choix de construire ces hôpitaux en PPP non seulement aura coûté plus cher, mais il nous enlève de plus le contrôle sur le processus de construction et d’entretien. » L’organisme qualifiait les PPP de « puits sans fond de dépenses judiciaires » puisqu’à chaque problème détecté, il y aura conflit « pour savoir qui doit payer plutôt que de simplement régler la situation ».

Le gouvernement libéral a toujours refusé de rendre publique l’information relative aux contrats, aux dépenses et aux engagements de l’État et de ses représentants dans les PPP des CHUs. En entrevue sur les ondes d’une radio montréalaise le 28 novembre dernier, la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, a promis une approche transparente de la question et une gestion responsable des deniers publics. Admettant d’emblée que la formule PPP n’est pas appropriée pour les hôpitaux, elle ne va toutefois pas jusqu’à remettre en question les contrats qui lient l’État québécois aux consortiums pour encore 25 ans. Allons-nous vraiment continuer à jeter l’argent par les fenêtres?

Rédaction Chantal Mantha | Collaboration Philippe Hurteau | 18 décembre 2018