Amélie Desnoyers, spécialiste en réadaptation en déficience visuelle

Amélie Desnoyers, spécialiste en réadaptation en déficience visuelle

Amélie Desnoyers est spécialiste en réadaptation en déficience visuelle, un travail qui répond à son désir d’aider, d’apprendre et d’enseigner, en lui permettant tout à la fois de collaborer avec des collègues d’autres disciplines et d’être autonome. Rencontre avec une jeune −et fière – professionnelle.

Quelle est votre formation?

Je détiens un baccalauréat en psychologie et un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) de deuxième cycle de l’école d’optométrie de l’Université de Montréal, terminé en 2012. Depuis, ce programme a été transformé en maîtrise professionnelle.

Quelle a été votre expérience de travail jusqu’à maintenant?

J’ai la chance de travailler depuis 2012 à l’Institut Nazareth et Louis-Braille (INLB), un centre de réadaptation spécialisé, auprès d’une clientèle âgée ayant une déficience visuelle, provenant de la Montérégie et de l’Est de Montréal.

À qui sont destinés les services et quel est le processus pour y avoir accès?

Le service spécifique auquel je suis attachée est destiné à une clientèle de 65 ans et plus. À partir du moment où une personne a de la difficulté à réaliser ses activités quotidiennes, elle peut faire une demande directement à l’INLB ou être référée par un·e optométriste, un·e ophtalmologiste ou un·e professionnel·le du réseau travaillant dans un CLSC, un autre centre de réadaptation ou un centre hospitalier.

La personne est d’abord évaluée de façon sommaire par téléphone par une personne du service de l’accueil-évaluation-orientation pour confirmer son admissibilité et établir le niveau de priorité. J’interviens ensuite en prenant contact avec elle pour planifier une rencontre à domicile afin de faire une première collecte d’information. Qui est-elle? Dans quel environnement évolue-t-elle? Quels sont ses besoins, ses habitudes au quotidien? Quelles difficultés rencontre-t-elle en raison de sa perte de vision? Quelles sont ses attentes face à la réadaptation? C’est l’occasion de présenter ce qu’est la réadaptation visuelle, de recadrer les services disponibles face aux attentes de la personne et d’élaborer ensemble des objectifs de réadaptation. C’est le moment d’établir notre plan de match et de cerner d’éventuels besoins d’intervention spécialisée.

Décrivez-nous votre travail au quotidien.

Si je ne suis pas à l’INLB pour faire des suivis, de la planification ou des rapports, je suis chez un·e client·e pour qui j’élabore un plan d’intervention. Suivre l’évolution des objectifs s’inscrit dans mon rôle d’intervenante-pivot dans le cadre de l’approche globale du processus de réadaptation favorisée par l’INLB. Mon chapeau d’intervenante en réadaptation en déficience visuelle m’amène aussi à intervenir directement auprès de l’usager·ère. À l’INLB, les deux rôles sont distincts mais partout ailleurs au Québec, c’est le volet intervention qui domine.

En majorité, les gens qui viennent nous voir ont encore une vision qu’ils peuvent utiliser pour pallier leur handicap. La rééducation visuelle consiste à les aider à prendre conscience de leur perte de vision et à utiliser ce résidu visuel de façon optimale. Par exemple, la plupart des personnes ont perdu la vision centrale. Les exercices que nous leur proposons les amènent à développer ce qu’on appelle une fixation excentrique. C’est une façon de regarder qui est complètement différente de ce qu’elles ont l’habitude de faire, qui nécessite de la pratique et de l’encouragement car c’est assez complexe.

Afin de répondre à un besoin souvent évoqué par les aîné·e·s souhaitant recouvrer un peu d’autonomie, nous axons parfois notre travail sur la lecture ou sur certaines activités de communication. Des aides optiques compensatoires leur sont proposées. On fait aussi l’évaluation de l’éclairage en vue par exemple de réduire l’éblouissement et l’inconfort. On travaille parallèlement sur la prévention des chutes et la réduction des risques dans l’environnement. L’INLB privilégie des actions assez ciblées mais les interventions de mes collègues ailleurs au Québec portent sur l’ensemble des habitudes de vie au quotidien, tant à domicile que dans le milieu de travail, ou à l’école s’il s’agit de jeunes.

Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans votre travail?

Plusieurs choses. D’abord l’exploration de la dimension psychosociale et humaine. Ensuite, la démarche d’analyse et de synthèse associée à chaque cas. Et aussi l’expertise qui se dégage du travail en équipe. Je me sens privilégiée de côtoyer autant de professionnel·le·s qualifié·e·s, qui mettent en commun leurs compétences.

Comment faites-vous une différence dans la vie des gens?

Les gens âgés font déjà face à plein de difficultés et l’ajout de la perte visuelle est un grand choc. Quand j’arrive, ils sont découragés et craignent de perdre leur autonomie. Nous visons à leur redonner le pouvoir d’agir sur leur quotidien et à changer leur perception de leurs propres capacités. Ils peuvent encore réaliser beaucoup de choses. On les aide donc à reprendre des activités, à gérer leurs finances, à accéder à leur courrier et à sortir de leur isolement. En retour, ils expriment leur reconnaissance.

Quels sont les défis rencontrés dans votre profession?

Les défis sont liés à la clientèle elle-même. La complexité de l’évaluation en est un. Il faut distinguer ce qui appartient à la perte de vision de ce qui relève du processus normal de vieillissement. Et cerner les stratégies déjà mises en place. Les personnes âgées ont moins d’énergie et vivent déjà des deuils multiples. Elles peuvent être elles-mêmes confrontées à des problèmes de santé ou agir comme aidantes naturelles pour un proche. Il faut essayer de comprendre leur expérience sans trop imposer nos façons de faire. La difficulté est d’adapter notre intervention, quitte à devoir parfois interrompre la réadaptation.

Le travail interdisciplinaire constitue aussi un défi. Comme la coordination et la communication avec nos collègues sont importantes pour échanger de l’information, il faut mettre en place des moyens efficaces de se concerter.

Enfin, en raison de de notre spécificité, nous avons à faire connaître notre profession. Une association professionnelle a été créée récemment, dans le but de sensibiliser les autres professionnel·le·s et la population à la déficience visuelle et à notre travail. Dans tout le Québec, le pourcentage de gens qui consultent est très bas par rapport à l’ensemble des personnes aux prises avec une déficience visuelle. Les gens croient qu’ils doivent vivre une déficience importante ou une cécité complète avant de nous contacter, alors que ce n’est pas le cas. La population vieillit et il est préférable d’agir en amont, avant que la perte d’autonomie ne soit trop importante. Le moment de l’intervention est crucial pour le maintien de l’autonomie.

Les développements technologiques exigent une constante adaptation mais sont très prometteurs. Les outils à notre disposition, comme l’informatique adaptée, sont en pleine transformation et ouvrent de nouveaux horizons.

Comment votre travail a-t-il changé depuis le début de votre carrière?

Je dirais que nous faisons mieux ce que nous faisions déjà.

Comme je maîtrise désormais les rouages du réseau de la santé et des services sociaux, mon rôle d’intervenante-pivot prend tout son sens. Les travailleuses sociales sont aussi plus sensibles à notre réalité et ont de meilleurs réflexes en matière de référence.

À l’ère numérique, le matériel de communication sert de mieux en mieux notre clientèle. Les gens ont maintenant accès à des téléphones offrant une synthèse vocale qui remplace la vision. Il existe aussi une fonction qui les aide à texter des messages.

Il y a depuis peu des implants visuels pour les gens qui ont une vision très réduite. Il nous faut acquérir de nouvelles connaissances pour les aider à profiter de cette avancée.

Enfin, la création de la maîtrise en réadaptation en déficience visuelle contribue à la reconnaissance et à l’évolution de la profession en favorisant la recherche appliquée, un meilleur réseautage et la formation continue.

Rédaction chantal mantha | collaboration Lucie Proulx | photo paul doumit | 2 octobre 2018