INSTITUT RAYMOND - DEWAR

Un déménagement qui sépare

Un déménagement qui sépare

Bientôt, plus aucune personne sourde, malentendante ou ayant des problèmes de communication n’entrera par le 3600 rue Berri, dans la vieille bâtisse qui fait partie du paysage montréalais à l’angle des rues Cherrier et Saint-Denis. Le déménagement de l’Institut Raymond-Dewar (IRD) qu’elle abritait marque un tournant historique qui remue bien des cœurs.

Les services spécialisés offerts par cet institut de réadaptation de renommée internationale aux personnes sourdes, malentendantes, ou ayant des problèmes de communication seront désormais dispensés sur deux sites distincts, séparant la clientèle de l’IRD. Les programmes Sourds et Surdicécité sont relocalisés au 3800 rue Radisson (près du Métro Radisson). Les autres programmes de l’IRD, soit tous les programmes en déficience auditive pour les personnes malentendantes, la clinique de l’implant cochléaire et les programmes en déficience du langage, seront offerts dans le Centre de réadaptation en déficience physique Lucie-Bruneau, une installation du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, situé au 2222 avenue Laurier Est.

Parmi le personnel et la clientèle de l’IRD, plusieurs expriment un sentiment de deuil. « C’est triste de quitter ce lieu chargé d’histoire, de voir brisée l’unité de notre petit établissement qui a vu naître et évoluer la réadaptation en déficience auditive et du langage, de voir diluée notre spécificité dans un ensemble plus large », commente Maria Bazo, docteure en audiologie, depuis cinq ans à l’IRD et membre de l’exécutif local APTS au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

C’est en effet la fusion de l’IRD avec le CIUSSS qui est à l’origine de la réorganisation des installations. L’IRD n’étant pas propriétaire de l’espace vétuste qu’il occupait, qui nécessitait des travaux, la direction a opté en 2016 pour le déménagement mais n’a pu trouver de locaux suffisamment vastes pour accueillir tous les programmes et répondre à tous les besoins.

« Ce déménagement est un énorme déchirement », affirme Jean-Paul W. Tremblay, gérontopsychologue.


« Mettre à l’écart les personnes sourdes qui utilisent la langue des signes québécoise (LSQ) après 150 ans d’histoire commune avec celles qui sont malentendantes est blessant, poursuit-il. Ce groupe qui communique dans une autre langue (LSQ), déjà limité dans sa communication avec les “entendants”, se retrouve isolé dans un autre bâtiment, loin de ceux qui partagent une partie de leur réalité, les malentendants. » L’histoire se répète. Pensons qu’au siècle dernier, les personnes sourdes utilisant le langage des signes comme celles qui étaient sourdes et aveugles ont été mises à l’écart de la population entendante et malentendante, nous rappelle-t-il.

Ce professionnel, qui compte 25 ans d’expérience à l’IRD, déplore l’altération de l’ambiance de travail, les départs précoces à la retraite, l’éloignement d’un quartier central et facilement accessible ainsi que l’augmentation des tâches de gestion et de coordination des locaux qu’impliquera l’espace restreint qui leur est réservé.

Il voit dans cette décision le désengagement du gouvernement face à une institution non seulement historique, mais qui a su aussi inspirer un taux de satisfaction remarquablement élevé (96 %) à sa clientèle et un fort sentiment d’appartenance à ses employé·e·s. Conséquence des compressions des premières années du gouvernement libéral, le nombre de postes a été réduit de 200 à environ 150. « Pourquoi avoir exclu l’option de réclamer la rénovation de la bâtisse centenaire de la rue Berri, ou ne pas avoir doté l’ensemble de la réadaptation montréalaise d’un édifice qui aurait permis de créer une synergie entre les intervenant·e·s et de consolider la réputation de l’IRD? », s’interroge Jean-Paul W. Tremblay. D’autant plus que l’on apprend par les médias que différents organismes cherchent à reprendre l’immeuble.

Maria Bazo observe que l’immeuble «aurait eu besoin d’amour» mais regrettera aussi les vieux murs qui ont tant d’histoires à raconter. « Le personnel a été consulté au cours des trois ou quatre dernières années et plusieurs gestionnaires partageaient nos inquiétudes et préoccupations, précise-t-elle, mais la décision a été maintenue. » Les directeurs alors en poste, ayant quitté l’établissement depuis, ne seront pas témoins de cette séparation.

Institution des Sourdes-Muettes, Montréal. Cours de Méthode manuelle donné par Sœur Rose-Ursule.

L’immeuble de pierre appartenait autrefois aux Sœurs de la Providence, qui y ont hébergé pendant des décennies des jeunes filles sourdes et muettes. À l’occasion du 150e anniversaire de ce qui s’appelait au siècle dernier l’Institution des Sourdes-Muettes, une vidéo souvenir a été produite. Elle présente les témoignages de femmes qui y ont résidé durant leur enfance et des professionnel·le·s qui ont contribué à la transition du couvent où la LSQ était proscrite vers un institut de réadaptation laïque à l’expertise unique au monde. L’IRD était envié par bien des spécialistes du fait qu’il regroupait tous les services sous un même toit, grâce à une équipe multidisciplinaire hyperspécialisée en surdité et communication, formée en audiologie, orthophonie, psychoéducation, éducation spécialisée, travail social et psychologie.

Le nom d’Institut Raymond-Dewar (IRD) a été retenu en 1984 en mémoire d’un leader sourd qui a joué un rôle capital dans la prise en main des personnes sourdes.

Références

L’Institut Raymond-Dewar : une œuvre depuis plus de 150 ans 
Quand une page se tourne, une nouvelle s’écrit

Rédaction Chantal Mantha | PHOTO D’OUVERTURE : BANQ, photo encadré : archives providence montréal | 21 FÉVRIER 2019