Remettre les motivations au cœur des professions

Remettre les motivations au cœur des professions

Est-il possible aujourd’hui de pratiquer sa profession dans le réseau de la santé et des services sociaux de manière « engagée »? Et si oui, à quelles conditions? Ce sont les questions que nous avons posées à la chercheure Marianne Beaulieu, experte de l’engagement.

Dans sa démarche académique, celle qui est maintenant professeure adjointe à la Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval s’est d’abord intéressée à l’application de la notion d’engagement dans le monde universitaire. Elle voyait dans cette posture, ancrée dans des valeurs de justice sociale et de citoyenneté, une façon pour les enseignant·e·s et les chercheur·e·s de construire des relations bénéfiques réciproques avec la société civile. Appliqué dans le domaine de la santé et des services sociaux, l’engagement est selon elle une manière d’exercer sa profession en cohérence avec la motivation première du personnel travaillant dans ce domaine, qui est de contribuer au mieux-être des personnes et des communautés.

Marianne Beaulieu le dit d’emblée : s’il y a tant de détresse psychologique parmi le personnel du réseau, c’est qu’il s’est créé une distance entre cette motivation et la pratique sur le terrain, éprouvée comme une perte de sens. « On en vient à servir les intérêts d’un système plutôt qu’à établir des relations humaines, constate-t-elle. Ce système déshumanisant ne prend pas suffisamment en compte la volonté de venir en aide. C’est dangereux parce qu’inciter les employé·e·s à se comporter comme des robots revient à traiter les patient·e·s comme de la marchandise. »

La chercheure insiste : le jugement critique est essentiel dans le domaine de la santé et des services sociaux et les intervenant·e·s doivent bénéficier de l’espace nécessaire pour l’exercer. À force de ressentir une dissonance entre leur formation et leur pratique, entre les exigences de leur ordre professionnel et les directives de leur cadre, croit-elle, les gens en viennent à croire qu’ils ne font pas bien leur travail. D’où leur détresse.

Un des attraits du secteur privé est justement de faire miroiter la possibilité de pouvoir exceller dans son travail en étant soumis à moins de contraintes statistiques ou administratives. L’ennui, faut-il le rappeler, c’est que ce ne sont pas toutes les clientèles qui peuvent payer pour le temps qu’on leur consacre.

Trois conditions

« Laisser aux professionnel·le·s la possibilité de prendre des décisions, c’est une des façons de respecter leur autonomie et de leur offrir de la reconnaissance : deux conditions indispensables à l’engagement. »

Offrir du soutien est la troisième condition requise pour que le personnel soit engagé, estime Marianne Beaulieu. Concrètement, elle pense à l’accès à des activités de formation sur les plus récents développements dans les différentes disciplines ou à des conditions administratives qui favorisent le travail en équipe multidisciplinaire et le partage d’expertises. Ce sont bien là des revendications que les membres de l’APTS considèrent comme des priorités.

La chercheure souligne que les gestionnaires aussi vivent de la dissonance en étant soumis·es à des directives venant d’en haut alors que les nouvelles approches de gestion leur recommandent plutôt d’être à l’écoute de leur personnel.

On aurait tort de voir l’engagement comme une notion purement théorique. Il soulève des enjeux bien réels, liés au sentiment d’appartenance au milieu de travail, à la déshumanisation de la gestion, au pouvoir et à la pression. C’est un révélateur des contradictions existant entre les exigences des gestionnaires ou du système et celles d’une pratique professionnelle rigoureuse inspirée des données probantes.

Marianne Beaulieu compte bien poursuivre ses travaux sur le rapport entre l’engagement, la perte de sens et l’épuisement professionnel. À son avis, cet axe de recherche transcende les disciplines et concerne autant les ordres professionnels que les syndicats.

« La santé et les services sociaux doivent être orientés selon une vision globale centrée sur l’humain, et portée bien au-delà des mandats de quatre ans d’un gouvernement. Il faut lutter contre le manque de cohérence », conclut la professeure Beaulieu.

Rédaction Chantal Mantha | Collaboration Adam Matthieu Ouellet | 21 novembre 2018