Lettre ouverte

Une réforme catastrophique en santé

Une réforme catastrophique en santé

Le ministère de la Santé et des Services sociaux aura bientôt un nouveau ou plus probablement une nouvelle titulaire. Avant de l’accueillir, retour sur l’effet délétère qu’aura eu la réforme lancée en septembre 2015 par le ministre sortant, Gaétan Barrette, sur les services sociaux de première ligne.

Car cette réforme aura définitivement brisé l’équilibre précaire qui subsistait tant bien que mal entre les dimensions sanitaire et sociale, à la base de notre système de santé public. En moins d’un mandat, ce politicien et ex-médecin spécialiste aura réussi à bouleverser les structures, à imposer sa vision étroite de la santé, en arrachant aux instances locales leur pouvoir décisionnel. Or la santé des Québécois, faut-il le rappeler, ne passe pas strictement par l’accès à un médecin, ni par les soins prodigués par des infirmières… La santé est une équation beaucoup plus complexe.

De toute évidence, les services sociaux, surtout ceux de première ligne, qui comprennent les services psychosociaux et les services de réadaptation, auront écopé au premier chef de cette réforme centralisatrice en santé, y subissant des pertes catastrophiques. Des pertes de pouvoir, certes, mais aussi des pertes d’expertise et de proximité avec les communautés. Prenons pour seul exemple l’intégration des centres jeunesse aux gigantesques centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) quand, dans une région comme l’Estrie, le bureau désigné pour recevoir les signalements est situé à Sherbrooke, alors que le territoire à couvrir s’étend dorénavant de Brigham en Montérégie jusqu’à Mégantic, en passant par Asbestos en Estrie. Et il faudrait dire à la population que l’accès à ces services sociaux de première importance a été amélioré!

Moins de services de proximité

La réforme de 2015 aura appauvri les communautés rurales et semi-rurales, notamment en coupant les services sociaux publics de leur ancrage communautaire. En parachevant le développement de corridors de soins, et selon une logique de programmes-services fondés sur les diagnostics, les services sociaux ont été réorganisés autour et sous l’autorité de nos grands hôpitaux, devenus l’unité fondatrice de cette réforme.

Or la réorganisation des services découlant de la réforme Barrette va à l’encontre de la responsabilité populationnelle confiée aux réseaux locaux de services (RLS) par la Loi sur les services de santé et les services sociaux, qui exigeait jusqu’alors que les instances locales y jouent un rôle de coordination.

En perdant leur coordination locale, et dans la mesure où tout se décide dorénavant régionalement, cette réforme aura contribué à détruire les solidarités locales.


Ainsi, toute personne vivant une crise situationnelle (rupture, deuil, perte d’emploi) a aujourd’hui beaucoup plus de difficulté à trouver une réponse satisfaisante à proximité de chez elle et dans des délais raisonnables. Car, en dépit du bon vouloir des travailleurs sociaux, lesquels sont confrontés aux listes d’attente et aux critères pointus pour accéder à certains services, cette personne en situation de vulnérabilité risque d’être privée de son « droit d’usage » en étant systématiquement dirigée vers son programme d’assurance privé ou encore vers un organisme communautaire où elle devra se payer une carte de membre.

Moins de services sociaux

Cette réforme aura aussi miné la motivation et l’autonomie professionnelle de nos travailleurs sociaux. Méprisant leur expertise ancrée dans les communautés, la réforme Barrette, qui a redonné davantage de pouvoir et d’argent aux médecins et aux grands hôpitaux, tient les professionnels du réseau social à distance des centres décisionnels. Le processus d’embauche des nouveaux professionnels du réseau social déployé par les centres de santé et de services sociaux témoigne bien de cette dévaluation de la dimension sociale, intrinsèque à la santé. En effet, c’est la flexibilité qui figure comme le premier critère d’embauche des candidats souhaitant obtenir une première assignation dans nos grandes entreprises en santé, devenues par ailleurs l’employeur étatique quasi exclusif pour ces jeunes professionnels.

Considérés comme de simples « ressources humaines » appelées à servir la grande entreprise, ces jeunes professionnels sont contraints d’accepter tout ce qu’on leur offre et peuvent être déplacés à toute heure du jour ou de la nuit sur de vastes territoires.

Générer la détresse et la maladie

La réforme Barrette, par la centralisation des services qu’elle implique, mais surtout par l’abolition du palier local décisionnel qui en découle, aura eu un effet dévastateur sur les services sociaux, lesquels se voient attribuer un rôle secondaire, voire accessoire. Parce que la pertinence des services sociaux passe par les liens que ceux-ci entretiennent avec les communautés locales, et que cette réforme de structures en fait fi, confiant aux médecins et aux gestionnaires comptables la bonne gouverne de nos centres intégrés de santé et de services sociaux. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un regard à la composition des conseils d’administration!

Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner d’assister à une augmentation constante des crises suicidaires et des appels de détresse de la part de citoyens qui ne savent plus où s’adresser pour demander de l’aide. En réduisant l’offre de services de première ligne (prévention), qui agit dans les communautés, pour investir dans le traitement des maladies, notre système de santé n’a aujourd’hui d’oreille que pour soigner les malades. Autrement dit, si au moment de formuler leur demande d’aide les usagers ne sont pas tous malades, ils se voient bientôt forcés de le devenir.

C’est pourquoi, à l’approche des élections provinciales prévues cet automne, l’électeur soucieux de la santé des Québécois, mais également de la santé et du développement de nos communautés, devra regarder au-delà du médical pour examiner ce que chacun des partis politiques propose comme vision de la santé.

Ce texte est paru dans Le Devoir le 5 juillet 2018.

David Bergeron, travailleur social, Institut universitaire de gériatrie de Sherbrooke  | 1er octobre 2018

2 commentaires

  1. martingouin le 9 avril 2019 à 11 h 04 min

    L’urbain a siphonné la campagne.
    Au mois de décembre dernier (2018), dans la région de Maniwaki en Outaouais, la population, les élus et intervenants du milieu se ont révoltés contre la centralisation des services vers le CISSS situé à Gatineau ( à 1hr30 de distance en voiture). En effet, ceux-ci se sont rendus au C.A. du CISSS réclamant le départ du PDG en affirmant ne pas avoir d’écoute pour la population en région. En mars dernier, la Ministre Mc Cann confirmait les dires des représentants du milieu, et en accord avec le rétablissement de services de proximité. Reste à voir les suites. La réforme Barette a fait du mal à la population, aux intervenants et aux régions. Je peux affirmer que non seulement la population a été prise u dépourvu, ne sachant plus qui fait quoi, mais aussi les intervenants et les gestionnaires qui se sont perdus dans tout se rebrassage de services.
    Quand on dit que lorsque tu te brises un bras, que tu ne peux même plus aller te faire faire un plâtre à l’Hôpital de ta région immédiate et que tu dois faire 1hr30 de route pour avoir le services, cela s’appelle une détérioration de services.
    Redonnons aux régions leurs services de proximité !

  2. martingouin le 9 avril 2019 à 11 h 07 min

    L’urbain a siphonné la campagne.
    Au mois de décembre dernier (2018), dans la région de Maniwaki en Outaouais, la population, les élus et intervenants du milieu se sont révoltés contre la centralisation des services vers le CISSS situé à Gatineau ( à 1hr30 de distance en voiture). En effet, ceux-ci se sont rendus au C.A. du CISSS réclamant le départ du PDG en affirmant ne pas avoir d’écoute pour la population en région. En mars dernier, la Ministre Mc Cann confirmait les dires des représentants du milieu, et en accord avec le rétablissement de services de proximité. Reste à voir les suites. La réforme Barette a fait du mal à la population, aux intervenants et aux régions. Je peux affirmer que non seulement la population a été priseau dépourvu, ne sachant plus qui fait quoi, mais aussi les intervenants et les gestionnaires qui se sont perdus dans tout se rebrassage de services.
    Quand on dit que lorsque tu te brises un bras, que tu ne peux même plus aller te faire faire un plâtre à l’Hôpital de ta région immédiate et que tu dois faire 1hr30 de route pour avoir le service, cela s’appelle une détérioration de services.
    Redonnons aux régions leurs services de proximité !

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