Racisme systémique : une responsabilité partagée

Racisme systémique : une responsabilité partagée

Figure de proue de la cause autochtone, Michèle Audette s’est rendue à Joliette en compagnie de sa belle-fille pour soutenir la famille de Joyce Echaquan, en état de choc au lendemain du décès à l’hôpital de cette mère atikamekw. Nous lui avons demandé quel message elle souhaitait livrer au personnel du réseau de la santé et des service sociaux interpellé par le racisme systémique révélé par ce drame.

« La mort de Joyce est une confirmation brutale de ce que j’ai entendu toute ma vie dans les cuisines et les centres communautaires, du Yukon à l’Île-du-Prince-Édouard », affirme Michèle Audette. Elle confie avoir eu du mal à regarder les images filmées par Joyce à l’aide de son cellulaire pendant qu’elle était insultée sans retenue par celles qui étaient censées prendre soin d’elle.

Pourtant, celle qui a été l’une des cinq commissaires chargées de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (2016-2019) en a vu et entendu d’autres au cours de sa vie de militante. Présidente de Femmes autochtones du Québec entre 1998 et 2004, elle a été sous-ministre associée au ministère québécois des Relations avec les citoyens et de l’Immigration, chargée du secrétariat à la Condition féminine (2004 et 2007), présidente de l’Association des femmes autochtones du Québec (2010-2012) et de l’Association des femmes autochtones du Canada (2012-2014), avant d’être conseillère principale en matière de réconciliation et d’éducation autochtone à l’Université Laval, poste qu’elle occupe depuis 2019. Tout un parcours pour cette femme de 49 ans, mère de cinq enfants. Née d’un père québécois et d’une mère innue dont elle parle avec beaucoup d’amour, Michèle a grandi à Schefferville, où sa famille se rendait dans le wagon réservé aux « sauvages ». Enfant douée mais agitée, elle voulait devenir professeure d’art pour faire rayonner la culture autochtone. Jusqu’à maintenant, les combats à livrer ne lui ont pas laissé le temps de terminer ses études universitaires.

Revenons aux funestes événements de Joliette. « Plus personne ne pourra prétendre désormais que ces choses-là sont révolues ou n’arrivent qu’ailleurs », souligne-t-elle. Mais pas question pour elle de jeter la pierre à des personnes, des groupes ou des institutions en particulier et de compromettre des alliances porteuses de changement. Antagoniser les parties n’est pas dans sa manière. « C’est tout un ensemble d’interventions qui a mené à cette situation. Il y a des gens qui ne savaient même pas qu’ils avaient des biais. Saisissons plutôt l’occasion de les éveiller et de rappeler nos revendications. »

Mais quelles actions revendiquer en priorité après tant d’enquêtes et de rapports tablettés?


« Il faut exiger une reddition de comptes rigoureuse et la mise en place d’une entité, qu’elle soit temporaire, transitoire ou mieux encore, permanente, chargée de suivre l’application des recommandations faites aux institutions, à la police, à la Direction de la protection de la jeunesse, etc. Elle devra aussi expliquer pourquoi on ne donne pas suite à certaines d’entre elles. »

L’autre chantier incontournable est celui de l’éducation. « Il est temps de raconter aux jeunes la vraie histoire », distincte de ces mythes colonialistes et paternalistes dont on abreuve nos enfants. Et cette éducation à la réalité autochtone devrait être dispensée des centres de la petite enfance jusqu’aux ordres professionnels. Des initiatives de sensibilisation apparaissent régulièrement dans l’espace public au gré des modes mais ne durent pas le temps nécessaire pour produire tout leur effet. Pour ne pas être à la merci de l’inconstance politique, il faut une loi qui encadre la lutte contre la discrimination. « Sans obligations légales, la pérennité des mesures n’est pas garantie. Je serai aux côtés de qui aura le courage de légiférer », déclare-t-elle.

On le sent, Michèle Audette ne rejette pas l’idée de refaire de la politique. Mais la prochaine fois ce sera au provincial, quand elle aura bien récupéré de l’épreuve de son expérience de commissaire pour l’Enquête nationale[i]. Recueillir des témoignages dramatiques refoulés depuis des années, voire des décennies, est une responsabilité lourde à porter. « Les gens qui viennent témoigner attendent beaucoup de qui les invite à s’exprimer. Certains se découvrent des forces insoupçonnées mais d’autres vont sombrer par la suite. »

Doit-on continuer d’envoyer des intervenant·e·s allochtones dans les communautés? Oui, croit-elle, comme il faut former de plus en plus de ressources issues des communautés elles-mêmes. Leur rencontre, grâce à l’influence que les un·e·s exercent sur les autres, contribue à briser les préjugés.

Invitée à livrer un message au personnel du réseau de la santé et des services sociaux, Michèle Audette maintient son attitude généreuse, combative et dénuée de rancœur : « Chaque personne doit se rappeler du pouvoir qu’elle détient de changer les choses. Ce qui est arrivé relève de la responsabilité de tout le monde, tout comme ce qui va suivre. On a le choix de se sentir coupable ou pas, mais ni le blâme ni la culpabilité ne sont porteurs du changement recherché. Inutile de s’accabler, il faut plutôt chercher à faire mieux. Il y a du bon monde. J’ai confiance qu’on va nous accueillir avec respect et dignité. »

Vous avez été ébranlé·e par le sort réservé à Joyce Echaquan à l’Hôpital de Joliette? Signez la pétition réclamant des mesures pour contrer le racisme systémique dans le réseau de la santé et des services sociaux, disponible sur le site de l’Assemblée nationale.

[i]Les commissaires de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont déposé en 2019 un rapport spécifique au Québec.

Propos recueillis par Élisabeth Circé-Côté et Laure Letarte-Lavoie | Rédaction Chantal Mantha | 23 octobre 2020