Les archivistes médicaux·ales, virtuoses de la donnée clinique

Les archivistes médicaux·ales, virtuoses de la donnée clinique

À l’annonce de leur profession, Judith, Lina et Maude font souvent face à une mine surprise, confuse ou dubitative – ou parfois les trois à la fois ! Enjouées et pleines de caractère, elles ne cadrent pas avec la perception que certain·e·s se font d’elles et de leurs collègues. Contrairement à la croyance populaire, les archivistes médicaux·ales ne se contentent pas de « classer de la paperasse dans un sous-sol sombre ». Présentes tout au long du cycle de vie de la donnée clinico-administrative, nos trois interviewées en sont d’ailleurs à la fois les conceptrices et les collectrices, les organisatrices et les analystes, les propagatrices et les protectrices.

Et ce n’est pas peu dire lorsque l’on sait que le milieu de la santé et des services sociaux est l’un des secteurs qui consomme et produit le plus de données: outre les laboratoires et les recherches cliniques, vous êtes en effet des centaines de milliers de travailleur·euse·s à en produire quotidiennement, que ce soit dans le cadre de vos rapports et observations ou par le biais de logiciels de suivi comme les outils de cheminement clinique informatisés (OCCI).

C’est quoi ça, la « donnée »?

L’expression «données clinico-administratives» réfère à l’ensemble des informations détenues par des institutions de santé – au Québec, principalement le MSSS et la RAMQ – qui permettent d’organiser et d’optimiser les soins et services. Une banque de données clinico-administratives contient donc tout autant des informations sur la santé des usager·ère·s – comme leurs diagnostics et leurs traitements – que sur leur parcours de soins – temps d’hospitalisation, ressources dédiées, etc. Ces données peuvent alors être utilisées pour obtenir une vue d’ensemble de l’organisation des soins et services à des fins d’évaluation, de planification, d’optimisation et/ou de financement.

Présentes tout au long du cycle de vie de la donnée clinico-administrative, nos trois archivistes médicales en sont à la fois les conceptrices et les collectrices, les organisatrices et les analystes, les propagatrices et les protectrices.


Au cœur du carrefour giratoire de la donnée

Quel que soit l’usage qui en est fait, cette donnée doit être complète et conforme, circuler selon des trajectoires précises et être préservée – puis détruite – selon des protocoles spécifiques. Quant à sa divulgation, elle ne peut survenir que selon des modalités bien arrêtées, conformément aux lois, règlements et politiques en vigueur. Les archivistes médicaux·ales interviennent à tous les niveaux de ce cycle de la donnée: ce sont, en somme, les administrateur·trice·s de l’information clinico-administrative.

De sa création et sa collecte…

Quel que soit le type d’établissement dans lequel il·elle travaille, l’archiviste médical·e est un maillon incontournable de la création, de la collecte et de l’analyse de la donnée. Pour Judith et Maude, qui travaillent toutes deux en centre hospitalier, cela implique notamment de collecter les renseignements cliniques consignés au dossier de l’usager·ère par les différent·e·s intervenant·e·s, puis de codifier elles-mêmes les maladies et les interventions en fonction des nomenclatures d’usage et à l’aide d’outils informatiques spécialisés. Elles peuvent également colliger, valider et extraire les données de registres québécois plus spécifiques – tumeurs, traumatismes, infarctus –, ou encore contribuer aux travaux de comités comme celui d’examen des décès ou d’évaluation de l’acte médical. Aux premières loges de l’information, elles en savent donc peut-être plus que vous sur votre patient·e, et ce sans même l’avoir jamais rencontré·e!

En CLSC en revanche, où Lina travaille, chaque intervenant·e du GMF et des services diagnostiques a la responsabilité de générer sa propre donnée en fonction de ses interactions avec l’usager·ère. Il importe donc qu’il·elle soit correctement formé·e pour saisir la donnée en conformité avec le cadre normatif du ministère de la Santé et des Services sociaux, et c’est à Lina qu’incombe ce rôle. Pour elle, pas de codage donc, mais un travail étroit tant avec les différentes directions cliniques qu’avec les intervenant·e·s et agent·e·s administratif·tive·s: autant dire qu’elle est rarement seule dans son bureau!

Peu importe son milieu de travail, l’archiviste médical·e se doit de posséder d’importantes connaissances non seulement en informatique, mais aussi en médecine et en biologie pour être en mesure de comprendre la donnée qui entre en compte dans la conception et l’analyse des dossiers biopsychosociaux. Cette donnée pourra d’ailleurs également lui servir à des fins statistiques, d’évaluation ou de recherche.

À sa diffusion et sa protection…

L’archiviste médical·e est aussi le·la gardien·ne des protocoles de conservation et de divulgation de la donnée : combien de temps celle-ci doit être préservée ? Sur quels supports doit-elle être consignée ou transférée? Quand peut-elle être détruite et de quelle manière? Et entre temps, qui peut y avoir accès et sous quelles conditions?

Judith et Lina, qui travaillent toutes deux au service d’accès à l’information, reçoivent quotidiennement des dizaines de demandes à cet effet et les requérant·e·s peuvent provenir de tous horizons: cliniques médicales, entités comme la CNESST, la SAAQ, la Régie des rentes ou la DPJ, compagnies d’assurances désirant se renseigner sur l’état de santé de potentiel·le·s client·e·s, avocat·e·s friand·e·s d’éléments de preuve pour plaider leur cause ou encore héritier·ère·s curieux·euses. C’est à l’archiviste médical·e qu’incombe la responsabilité de la protection des droits de l’usager·ère et c’est donc lui·elle qui doit juger du bien-fondé et de la pertinence de ses requêtes. Cela suppose bien entendu d’être parfaitement au fait du cadre juridique en vigueur, en plus de requérir une excellente connaissance des règles d’éthique.

Les « virages numériques » qui se réalisent sans embûches se comptent probablement sur les doigts de la main. Le défi est en effet de taille : il s’agit de gérer une quantité astronomique d’information, produite par une kyrielle de parties prenantes et consignée par le biais d’une multitude d’applications et de logiciels.


En passant par sa (ré)organisation

Tout cela fait des archivistes médicaux·ales les personnes les plus habilitées à penser une organisation optimale de la donnée clinico-administrative : en 2020, ils·elles ont d’ailleurs reçu une invitation de la part du MSSS afin de joindre la table de travail sur le Dossier santé numérique, qui a pour objectif d’informatiser les dossiers médicaux des Québécois. Mais les «virages numériques» qui se réalisent sans embûches se comptent probablement sur les doigts de la main. Ceux qui, au contraire, se révèlent d’une grande complexité et avancent de façon beaucoup plus fastidieuse que prévu sont légion. Le défi est en effet de taille : il s’agit de gérer une quantité astronomique d’information, produite par une kyrielle de parties prenantes et consignée par le biais d’une multitude d’applications et de logiciels. Maude en sait quelque chose puisqu’elle est chargée du chantier d’informatisation et de numérisation de son établissement : «C’est tout un défi de faire travailler tout le monde ensemble, de réunir les missions, de défaire les silos», explique-t-elle. Loin de se décourager, elle en appelle surtout à un recours plus précoce à l’expertise des archivistes médicaux·ales : «c’est important qu’on soit impliqué·e·s dans les stratégies d’implantation et de développement et pas seulement a posteriori, dans le fonctionnement des systèmes. C’est la meilleure façon de s’assurer que la numérisation du réseau se fasse efficacement, mais aussi dans le respect des valeurs éthiques et de la vie privée des Québécois·e·s.»

Judith Lemay Langevin

Maude Arsenault

Lina Paradis

RÉDACTION LEÏLA ASSELMAN | COLLABORATION MAUDE ARSENEAULT, JUDITH LEMAY LANGEVIN, LINA PARADIS | ILLUSTRATION Steve Adams | 28 NOVEMBRE 2022