Le côté sombre du libre-échange

Le côté sombre du libre-échange

La pandémie de la COVID-19 a mis en lumière à quel point le Québec est désormais dépendant des usines de production outre-mer pour s’approvisionner en articles aussi simples que des masques. Alors qu’on observe une montée du protectionnisme dans plusieurs pays, aurions-nous trop misé sur la mondialisation et le libre-échange?

Mais d’abord, qu’est-ce que le libre-échange et en quoi cela nous concerne?

Un traité de libre-échange est un accord entre plusieurs pays pour réduire les tarifs douaniers, ou ne pas en imposer. Les traités de libre-échange sont complexes car ils visent à établir des règles similaires pour les entreprises des différents pays impliqués afin d’éviter qu’un pays avantage ses propres compagnies. Or, ces règles sont sujettes à controverse. Par exemple, les États-Unis et le Canada ont eu un long conflit au sujet du bois d’œuvre1 car les États-Unis considéraient la vente à bas prix des droits de coupe canadiens comme une forme de subvention déloyale.

Le même genre de problème peut survenir dans le domaine de la santé. Par exemple, lors de la signature du dernier traité de libre-échange avec l’Europe, le Canada s’est engagé à mettre en place de nouvelles règles concernant l’achat de matériel pour ses services publics. Le but était, entre autres, d’assurer l’équité entre les compagnies européennes et canadiennes lors des soumissions pour acheter du matériel médical. En contrepartie, on a sacrifié une part d’autonomie dans les décisions de gestion de notre réseau public pour satisfaire aux exigences de l’accord de libre-échange.

Si l’APTS est membre du Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC), c’est pour surveiller la négociation de ces traités. En effet, ceux-ci sont souvent négociés derrière des portes closes et sont des documents juridiques complexes dont il est parfois difficile de saisir les ramifications immédiates. Pourtant, les risques de dérive sont grands.

Dans le secteur privé, le libre-échange met non seulement les entreprises en compétition les unes avec les autres à l’échelle internationale, mais il met surtout les travailleur·se·s en compétition. Plusieurs industries ont en effet quitté le Québec dans les dernières décennies pour s’installer dans des pays où les droits syndicaux sont inexistants et les salaires plus bas. La compétition internationale exerce également un nivellement par le bas des normes environnementales et des taxes sur les entreprises car les gouvernements sont mis en concurrence les uns avec les autres pour attirer les investisseurs. Au final, ce sont les entreprises multinationales qui profitent le plus de ces accords.

L’APTS estime que la pression à la privatisation des services publics représente un danger immédiat lié au libre-échange.


Bien que les traités signés à ce jour n’aient pas obligé le Québec à privatiser ses services, des clauses allant en ce sens ont souvent été évoquées lors de négociations passées. C’est grâce à la vigilance des organisations citoyennes que l’acceptation de telles clauses a pu être évitée, mais il faut garder en tête que les multinationales du domaine de la santé font activement du lobbyisme pour ouvrir la porte à la privatisation.

L’autre problème important que l’on constate, c’est à quel point la délocalisation de la production rend le Québec et le Canada dépendants d’usines situées à l’étranger. Or, quand une crise comme celle du coronavirus frappe, ces chaînes d’approvisionnement sont perturbées et créent des pénuries d’équipement médical essentiel. Les traités de libre-échange limitent donc les moyens des gouvernements d’intervenir pour conserver une capacité de production locale parce que cela constituerait de la concurrence déloyale.

On comprend qu’il est dans notre intérêt de surveiller de près l’évolution de ces discussions en haut lieu, de jouer un rôle de chien de garde de l’intérêt public et de ne pas laisser le champ libre aux lobbyistes de droite. C’est pourquoi l’APTS soutient et diffuse les travaux du RQIC.

1 Il s’agit du bois utilisé dans la construction de la charpente de maisons et dans la fabrication de produits destinés à la construction ou à la rénovation résidentielle. Le bois d’œuvre canadien provient presque en totalité (98 %) d’arbres résineux : l’épinette, le pin, le thuya et le sapin.

Rédaction Élisabeth Circé-Côté | illustration Steve Adams | 18 juin 2020