L’ADS+ pour combattre le sexisme!

L’ADS+ pour combattre le sexisme!

Le projet de loi no 59, Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (PL 59), déposé à l’automne 2020 par le ministre du Travail a été décrié de toutes parts. De nombreuses voix représentant les femmes, y compris celle de l’APTS, se sont fait entendre pour dénoncer les biais sexistes du projet de loi. Un outil permettrait de corriger le tir.

Malgré la déception initiale exprimée par les syndicats, groupes de défense des travailleuses et travailleurs accidentés, professionnel·le·s en santé publique et associations professionnelles, on doit souligner un effet positif du PL 59 : les revendications féministes ont résonné fort à la commission parlementaire chargée de l’étude du projet de loi ainsi que dans les médias. L’analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle (ADS+) n’a jamais été autant mentionnée sur la scène politique et médiatique québécoise. En présentant en commission parlementaire les recommandations formulées par l’APTS dans son mémoire, la présidente de l’APTS, Andrée Poirier, ainsi que Chantal Schmidt, coordonnatrice en santé et sécurité du travail, ont témoigné de la nécessité d’avoir recours à l’ADS+.

Ainsi les différents groupes représentant des femmes, notamment l’Intersyndicale des Femmes à laquelle participe l’APTS, ont démontré que la réforme proposée reproduit les mêmes discriminations sexistes que le régime actuel, qui date de 1979.

En matière de prévention, ce sont encore les travailleuses qui sont les moins bien protégées. Et en ce qui a trait à la réparation, la réforme n’apporte aucune avancée pour les femmes au regard de la reconnaissance des maladies du travail qui les concernent.

Plusieurs chercheures soulignent que les travailleuses se trouvent très majoritairement dans des catégories d’activités jugées non prioritaires en raison de la persistance à concevoir le travail des femmes comme moins risqué, et dont les risques sont moins reconnus par les médecins, les gestionnaires, les juges et les responsables politiques.

C’est le cas dans le réseau de la santé et des services sociaux, où le taux d’absentéisme croissant est associé à des problèmes de santé mentale ou à la présence de troubles musculosquelettiques (TMS). Or, on observe une sous-déclaration ainsi qu’une sous-indemnisation des lésions professionnelles des travailleuses. Ces difficultés à faire reconnaitre une lésion professionnelle amène ces dernières à se tourner vers leur régime d’assurance-salaire. Pour Karen Messing, professeure québécoise émérite en sciences biologiques et auteure de La santé des travailleuses La science est-elle aveugle?, les femmes ne sont pas indemnisées pour leurs maladies et accidents professionnels parce que le système d’indemnisation a été conçu pour traiter des problèmes typiques des emplois traditionnellement masculins.

Lors d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle les travailleuses sont moins souvent indemnisées que les travailleurs. Et le PL 59 reproduit malheureusement cette inégalité.


En effet, le Règlement sur les maladies professionnelles qui y est associé omet de nombreux diagnostics touchant principalement les travailleuses. On pense surtout aux TMS et aux lésions psychologiques. Celles-ci sont sous-déclarées, sous-indemnisées, et ne représentent que 1 % des lésions professionnelles reconnues au Québec. Or, un rapport récent de la CNESST révèle que les travailleuses sont davantage victimes de lésions attribuables au stress et à la violence au travail.

Le ministre avait pourtant l’ADS+ dans sa boîte à outils, une méthode d’analyse qui aurait permis d’éviter de reconduire ou d’accentuer les inégalités entre les femmes et les hommes dans le régime de santé et de sécurité du travail (SST). Mais le ministre a énoncé qu’il n’aurait pas recours à l’ADS+ avant même de déposer les amendements au projet de loi. Elle est pourtant dans les cartons du Secrétariat à la condition féminine depuis 1997 et son utilisation est prévue à la Stratégie gouvernementale pour l’égalité du gouvernement du Québec. Malgré cela la réforme SST, attendue depuis plus de 40 ans, n’a pas été analysée avec cet outil.

L’ADS+ est un outil de réduction des inégalités. Il s’agit d’une démarche d’analyse à entreprendre dès l’amorce d’un changement législatif ou avant l’adoption d’une politique ou de programmes afin de s’assurer que ceux-ci sont accessibles, sécuritaires et inclusifs.

Cette analyse permet d’anticiper les effets distincts que peuvent avoir des mesures sur les femmes, les hommes et les groupes vulnérables.


Dans une perspective intersectionnelle, l’analyse permet de comprendre que les discriminations peuvent être plurielles. Une personne ayant plusieurs appartenances (par exemple une femme, racisée, travailleuse de la santé, cheffe de famille, dans un milieu rural, etc.) peut subir de la discrimination en raison de plusieurs de ses appartenances. L’ADS+ aide à prévoir et à enrayer la discrimination pour atteindre l’égalité en offrant une vue d’ensemble des différents niveaux d’oppression possibles, sur la base des réalités et des besoins différenciés selon les sexes, en incluant des appartenances aux groupes plus désavantagés de la société.

Tel que le rapportait la chercheure Shanie Roy dans le mémoire de l’Intersyndicale des femmes, les besoins des travailleuses en matière de SST ont historiquement été négligés et le cadre actuel, tout comme celui proposé dans le PL 59, prend bien peu en compte les situations de travail des femmes. Après 40 ans d’attente de réforme, durant lesquels la société a grandement évolué, il est désolant de constater que le gouvernement québécois a fait le choix conscient de ne pas faire d’analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle. Ce qui mène, hélas, à la reconduction de trop nombreuses iniquités du régime dans la réforme.

Cette année, le thème de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, était Écoutons les femmes. De toute évidence, une fois de plus, elles n’ont pas été écoutées.

Rédaction Laurence de la Sablonnière  |  Collaboration Élaine Giroux  | Illustration Laurent Pinabel | 24 mars 2021