Inégalités sociales : de grandes questions à se poser

Inégalités sociales : de grandes questions à se poser

À quelques mois d’un congrès au cours duquel l’APTS doit déterminer quels seront ses champs d’intervention prioritaires en matière d’action sociopolitique au cours des prochaines années, voici un aperçu de certaines questions soumises à la réflexion d’une délégation de quelque 800 personnes.

Montée des inégalités, alourdissement de l’endettement des ménages, avancée du sentiment d’insécurité économique, dégradation des conditions de vie des personnes pauvres et vulnérables : les conséquences sociales de quatre décennies de néolibéralisme sont lourdes. En plus d’affaiblir le tissu social québécois, ce legs peu réjouissant contribue à l’érosion du rapport de confiance que la population entretient avec nos institutions collectives. Pour s’assurer que les prochaines générations puissent jouir elles aussi d’un « Québec où il fait bon vivre », d’un Québec qui ne laisse pas tomber les plus vulnérables et qui ne conçoit pas de vie individuelle riche de sens sans solidarité sociale, il est impératif de lutter efficacement contre les inégalités.

Quelle doit être la part de l’APTS dans cette lutte?

Les statistiques sont claires : il y a plus d’inégalités sociales aujourd’hui qu’il y a 40 ans. Près d’une personne sur dix manque aujourd’hui du minimum afin de combler ses besoins de base. Une personne sur dix croisée dans la rue vit donc avec des carences constantes au plan de son alimentation, de son logement, de son habillement et de sa capacité à communiquer facilement (problème d’accès au transport, au téléphone, à Internet, etc.). Bien entendu, lorsque ces carences s’ajoutent à d’autres problèmes (maladie, handicap, dépression, problèmes familiaux, etc.), il devient encore plus difficile d’améliorer individuellement sa condition. Peut-on vraiment, comme société, laisser tomber ces gens-là?

Au-delà des personnes en situation de pauvreté et des gens vulnérables, la croissance des inégalités affecte également la masse des salarié·e·s qui, depuis 1980, n’ont pas vu la part de leur rémunération augmenter au même rythme que l’ensemble de l’économie québécoise. Ce constat est encore plus marqué pour les personnes travaillant dans l’administration publique (fonction publique, réseau de l’éducation et réseau de la santé et des services sociaux) puisque leur revenu n’a pas suivi l’évolution de l’indice des prix à la consommation.

Bref, on peut dire que le Québec d’aujourd’hui est une société à deux vitesses dans laquelle seule une minorité tire profit de la croissance économique. Cette minorité, rappelons-le, est composée des mêmes personnes qui, à titre individuel ou par le biais de leurs entreprises, ont massivement recours aux paradis fiscaux afin de se dérober à leurs responsabilités fiscales élémentaires. Par toutes sortes de stratagèmes, elles limitent leurs contributions aux revenus de l’État, ces revenus dont il a impérativement besoin pour redistribuer notre richesse collective et aplanir les inégalités, notamment en offrant des services publics gratuits et accessibles.

Dans ce contexte, comment l’APTS peut-elle contribuer à remettre au cœur des politiques publiques et fiscales le principe de justice sociale? Comment promouvoir une meilleure distribution des gains économiques, soit directement sur le marché du travail (le salaire) ou indirectement par des politiques de redistribution (la fiscalité)? Comment valoriser la participation des services publics, et plus particulièrement du réseau de la santé et des services sociaux, à la création d’une société juste et équitable pour tous et toutes?

Après de multiples réformes, des réductions budgétaires importantes et la dégradation des milieux de travail et de vie que sont les établissements, le réseau est dans un état critique. Il faisait pourtant la fierté des Québécois·es il n’y a pas si longtemps. Pendant que les listes d’attente s’allongent, que l’accès aux services se resserre et que le personnel s’épuise, les gens d’affaire ont flairé de belles occasions d’en tirer profit.

Une véritable industrie privée de la santé s’est développée parallèlement au réseau public. Bien qu’elle se présente comme une solution aux carences du secteur public, elle est en fait l’une des principales sources de la crise que nous traversons.

Devoir payer pour accéder à un examen de santé dans un délai raisonnable, contourner les listes d’attente pour voir un·e professionnel·le en cabinet privé, se priver d’un médicament d’ordonnance trop cher sont autant de signes de la marchandisation des besoins de base. Les gens qui ont suffisamment d’argent, de bonnes assurances ou encore des contacts bien placés accéderont plus facilement aux services dont ils ont besoin. Pour les autres, la vie est plus dure et « l’égalité face à la maladie » devient bien relative. La loi canadienne prévoit pourtant que chaque citoyen·ne doit avoir un accès égal aux services de santé et aux services sociaux. La logique marchande qui s’installe porte ainsi atteinte aux droits des personnes vulnérables.

Ce que l’on désigne souvent comme la « médecine à deux vitesses » n’est plus une vue de l’esprit ou une vague crainte pour le futur. Elle a maintenant sa place au centre de notre système. Certain·e·s vont jusqu’à dire que le secteur privé détermine maintenant les orientations du système public de santé, que ce soit par l’action de grandes fondations, de l’influent lobby médical, de l’industrie pharmaceutique ou encore des compagnies d’assurance.

Est-il possible de leur opposer un contre-pouvoir pour contribuer à la détermination des grandes orientations sociosanitaires?

Le Québec traverse une crise démographique à plusieurs niveaux. Avant même que le poids démographique des personnes ayant atteint l’âge de la retraite soit à son sommet, ce qui sera le cas d’ici dix ans, les effets de la pénurie de main-d’œuvre se font déjà sentir. Que l’on pense au vieillissement de la population ou encore à la dévitalisation de certaines régions, ces enjeux ont une incidence directe sur la vie des membres de l’APTS, sur l’organisation du réseau de la santé et des services sociaux ainsi que sur l’ensemble de notre société.

Alors que le vieillissement de la population québécoise est l’un des plus marqués en Occident, notre société n’a pas encore pris de mesures structurantes pour affronter les problèmes posés par la situation. Il est plus que temps de revoir l’organisation et la nature des services offerts à la population pour prévenir une évolution qui aurait pour effet de restreindre le panier de services auxquels les Québécois·es ont accès. Il faut plutôt dès maintenant s’assurer d’en maintenir la qualité et l’accessibilité et d’en garantir la pérennité et même l’expansion.

Les défis du vieillissement de la population sont d’une acuité particulière loin des grands centres urbains. Dans les régions, la centralisation du réseau a souvent eu pour effet d’éloigner les services des citoyen·ne·s et a réduit le pouvoir décisionnel des communautés.

Quel rôle peut jouer notre syndicat pour favoriser la mise en place de solutions permettant de relever ces défis?

Quelles sont nos propositions pour retenir le personnel et combler les postes laissés vacants par les départs à la retraite? Quelle est la place des nouvelles technologies dans ce contexte? Une offre accrue de services accessibles en ligne, par exemple, est-elle une piste de solution ou une évolution à combattre?

Quelles mesures pourraient favoriser un meilleur accès aux services pour les communautés éloignées des grands centres? Renforcer nos alliances avec les groupes communautaires ainsi qu’avec les pouvoirs municipaux et régionaux nous permettrait-il d’intervenir plus efficacement pour les soutenir?

Ce ne sont là que quelques-unes des questions qui seront débattues au cours des ateliers du congrès de novembre 2019. Les orientations qui seront retenues feront l’objet de propositions d’action soumises au vote au congrès de 2021.

Rédaction Philippe Hurteau et Chantal Mantha | Illustration Laurent Pinabel | 26 septembre 2019