Entretien sur les responsabilités du syndicat comme acteur social

Entretien sur les responsabilités du syndicat comme acteur social

Dans le cadre de la réflexion en vue de l’adoption d’une plateforme politique en 2020, nous avons demandé à Thomas Collombat, professeur à l’Université du Québec en Outaouais et spécialiste du mouvement syndical, pourquoi les syndicats doivent se mêler d’action politique et comment ils peuvent le faire.

BleuAPTS : En quelques mots, comment concevez-vous le rôle des syndicats dans le débat public?

Thomas Collombat : Les syndicats sont des acteurs de démocratisation de la société importants. On n’a qu’à penser à leur lutte pour les droits collectifs et la répartition de la richesse ou à leur défense du droit d’association et des services publics.

Ils sont aussi des acteurs de démocratisation des milieux de travail. Je pense ici aux limites qu’ils posent au pouvoir patronal, à leur exigence de participation des travailleur·euse·s à l’amélioration des conditions de travail, à leur volonté de créer un intérêt collectif entre salarié·e·s, etc.

Ce qui fait l’essence de l’action syndicale, c’est la force du nombre et la création de liens de solidarité en lieu et place de l’individualisme et de la seule concurrence économique.

Comment comprendre alors la méfiance et le cynisme dont les syndicats sont souvent l’objet?

Il est possible que les syndicats, particulièrement au Québec mais aussi ailleurs dans le monde, paient aujourd’hui le prix des succès passés. Après avoir gagné une plus grande participation syndicale, avoir ouvert des espaces de concertation institutionnelle, il n’est pas surprenant que, d’une certaine manière, ils en viennent à être associés au statu quo. Or la tendance actuelle, qui voit émerger des options politiques s’inspirant du populisme, s’appuie justement sur une critique et un rejet de ce statu quo ainsi que des institutions qui lui sont associées. En quelque sorte, on peut dire que les syndicats sont emportés par le courant…

Il faut bien reconnaître aussi que l’intégration des syndicats aux mécanismes institutionnels et paritaires a eu pour effet de complexifier le travail syndical, ce qui participe à les éloigner parfois de leurs propres membres. Alors qu’elle devrait être le principal avantage syndical, la force du nombre se retourne dans ce cas contre les syndicats en créant une distance entre les membres et les instances chargées de les représenter.

La restructuration syndicale qui a suivi les récentes fusions d’établissements a aussi contribué à accroître la distance entre la base et les leaders syndicaux et à appauvrir la vie démocratique. C’est un effet de la croissance des organisations hélas difficile à contrer.

Dans ce contexte, comment revaloriser le rôle public et politique des syndicats?

Il n’y a évidemment pas de solution miracle. Un point de départ pour opérer cette revalorisation serait d’éviter de tomber dans le piège d’une séparation arbitraire et artificielle entre ce qui relève des relations de travail et ce qui concerne l’action politique. Ces deux sphères d’activité ne sont pas si séparées qu’elles le paraissent à première vue. L’action politique est plus qu’une option qui s’ajoute facultativement aux relations de travail.

La nature même de l’action syndicale est politique. Le fait de se regrouper en collectif, de débattre démocratiquement d’orientations, de miser sur la mobilisation collective pour obtenir des améliorations dans les conditions de travail est en soi une démarche politique.

Il faudrait donc voir non seulement à saisir le caractère politique des relations de travail, mais aussi à trouver une manière de les intégrer aux « dossiers » que l’on associe plus classiquement à l’action politique

Avez-vous des exemples?

Deux me viennent en tête spontanément.

D’abord, le lien de continuité qui va d’une convention collective jusqu’aux paradis fiscaux. L’État aurait plus d’argent dans ses coffres pour redresser la rémunération de ses employé·e·s si l’évitement fiscal ne le privait pas de sommes considérables chaque année. Ainsi, combattre l’injustice fiscale constitue, pour les syndicats en période de négociation, une façon de contrer l’argument gouvernemental des coffres vides.

L’amélioration des conditions de travail, la démocratisation du réseau et les luttes contre les différentes réformes managériales qui visent à comprimer toujours davantage le travail sont aussi intrinsèquement liées. Alors que l’opposition syndicale à la gestion néolibérale peut paraître avant tout idéologique, elle vise surtout à prémunir les membres de ses effets délétères bien concrets sur les conditions de pratique professionnelle.

Croyez-vous que l’APTS puisse être un acteur privilégié, central, dans la démocratisation du réseau de la santé et des services sociaux?

Absolument. Avec une action syndicale vigoureuse, il est possible de faire émerger une communauté d’intérêt entre organisations citoyennes et professionnelles, groupes d’usager·ère·s et d’expert·e·s, etc. C’est par la construction lente et patiente de rapports de solidarité élargis qu’il sera possible non seulement de freiner les reculs des dernières années, mais surtout de renouer avec l’ambition de construire un réseau à la hauteur de nos besoins et de nos espoirs.

Rédaction Philippe Hurteau et Chantal Mantha | photo Éric Demers | 26 septembre 2019