Des chiffres qui appellent à changer le monde

Des chiffres qui appellent à changer le monde

La seconde édition du Carrefour des idées, Comprendre pour choisir, a eu lieu les 5 et 6 mai dernier dans le cadre de la réflexion en cours depuis deux ans pour doter l’APTS d’une nouvelle plateforme politique. L’objectif des conférences et discussions prévues à cette occasion était de prendre du recul pour avoir une vision plus globale du contexte dans lequel nous évoluons afin d’agir de façon éclairée. Retour sur la conférence d’ouverture.

Vous démontrez, chiffres à l’appui, qu’au plan international le niveau de dépenses en santé des pays n’est pas garant de meilleurs résultats en termes d’espérance de vie et de mortalité à la naissance. Par exemple, le Japon, l’Espagne, l’Italie, Israël et l’Australie, des pays où les gens vivent plus vieux qu’ici, dépensent moins que le Canada. La performance canadienne est médiocre aussi quand on compare le taux de mortalité en bas âge et les sommes dépensées. Comment expliquez-vous les piètres résultats canadiens par rapport à ceux de pays comparables?

Le Canada perd des points notamment à cause du traitement qu’il réserve aux communautés autochtones, pour lesquelles l’accès aux soins est dramatiquement insuffisant. Si nous offrions à ces communautés un accès semblable à celui dont bénéficie le reste de la population, notre performance ferait probablement meilleure figure à côté de celle de pays comme l’Australie et la Suède. Il demeure que les dépenses en santé ne sont pas le facteur le plus déterminant de la santé d’une population.

Si on regarde le nombre d’années de vie perdues à cause du cancer, on ne voit pas de lien non plus entre nos investissements et les résultats de notre système de santé – qui sont de l’ordre de ceux du Chili ou de la Colombie, qui n’ont pas nos moyens financiers. Plus d’argent ne donne pas automatiquement une meilleure réponse aux besoins.

Quels sont les facteurs qui affectent la santé d’une population alors?

Les facteurs qui ont le plus d’influence sur la santé sont en dehors du secteur de la santé lui-même. Ce sont les lois régissant la taxation et la fiscalité qui viennent déterminer le partage de la richesse dans une société donnée, les lois relatives à la santé et à la sécurité en milieu de travail qui préviennent les accidents et les maladies industrielles, l’urbanisme qui prévoit des espaces verts, des terrains de jeux et des transports moins polluants par exemple, etc. Ce sont ces déterminants qui font qu’une population sera en meilleure santé ou pas. Voilà ce qui change le monde.

Ensuite, l’organisation du système de soins est là pour répondre aux attentes et calmer les inquiétudes quand un problème survient. Encore faut-il y avoir accès.

Croyez-vous qu’actuellement le système de santé répond aux attentes des Québécois·es?

Alors que les dépenses totales de santé per capita en dollars constants ont doublé depuis 1997, on ne peut certainement pas dire que la population est deux fois plus satisfaite car les attentes sont de plus en plus élevées. Indépendamment des efforts de contrôle budgétaire de certains gouvernements, les dépenses du Québec suivent leur trajectoire à la hausse. À long terme, les compressions budgétaires n’ont rien donné puisqu’elles ont toujours été compensées par la suite.

Comme s’il y avait des forces à l’intérieur même du système qui poussaient les dépenses vers le haut…?

Exactement. L’augmentation des coûts des médicaments en est une, largement documentée, tout comme celle de la rémunération des médecins. Le Québec a plus de médecins par personne qu’il n’en a jamais eu, mais ce sont majoritairement, et de plus en plus, des médecins spécialistes. Il est pourtant démontré que pour répondre adéquatement aux besoins un système de santé doit être composé d’une majorité de médecins de famille. En 10 ans, les spécialistes ont doublé leurs salaires, privant d’autres secteurs d’investissements plus efficaces pour améliorer la santé de la population.

Nous devrions nous assurer que nos choix d’investissement soient conformes à nos valeurs comme société, ce qui n’est présentement pas le cas. Les syndicats ont un rôle à jouer dans ce sens en s’engageant en faveur de l’amélioration des conditions de vie, qui constituent des déterminants fondamentaux de la santé. Car aucune maladie n’est aussi mortelle que la pauvreté, qui est le premier facteur limitant l’espérance de vie.

Vous observez des tendances qui auront un impact considérable sur le système de soins. En quoi constituent-elles des menaces et comment les dévier?

Annoncé depuis des décennies déjà, le vieillissement de la population n’est pas une abstraction. Les gens qui composent à l’heure actuelle le groupe d’âge le plus important au Québec auront entre 70 et 85 ans dans deux décennies, entraînant une hausse importante des coûts de santé et des besoins d’hébergement. Si les bonnes décisions ne sont pas prises maintenant, la crise sera majeure. Le Québec n’aura pas les ressources de les héberger tous. La COVID-19 a fait la démonstration que le modèle n’est pas viable.

C’est pourquoi il faudrait adapter les logements et améliorer l’offre de soins à domicile, comme l’ont fait avec succès plusieurs pays.

L’autre part de la solution réside dans un examen de la pertinence des soins. On offre trop de soins très chers qui ne servent à rien. Par exemple, pour les maladies métaboliques courantes comme l’hypertension, le diabète et l’hypercholestérolémie, on a abaissé les seuils à partir desquels on considère une personne malade. On a ainsi accru la demande de soins. Ce sont des coûts énormes pour un bénéfice qui n’a pas été démontré. Présentement, le Québec n’optimise pas ses investissements en s’assurant qu’ils ont un réel effet sur la santé de sa population.

L’autre défi de taille a trait à l’approche québécoise de gestion des ressources humaines. Bureaucratique, autoritaire, méprisante, cette approche contribue à l’exode du personnel. Pourtant on la maintient depuis 10-15 ans, avec les mêmes conséquences désastreuses. À défaut de réformer sa gestion pour la rendre plus démocratique et attentive aux besoins des salarié·e·s, le système de santé québécois continuera d’être confronté à une incapacité chronique d’organiser le réseau de façon plus performante et de répondre à la demande.

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Propos recueillis par Chantal Mantha | 20 juillet 2021