De Hassaké à Laval, de médecin à cytologiste

De Hassaké à Laval, de médecin à cytologiste

Vous est-il arrivé de vous interroger sur ce qui a amené vos collègues d’origine étrangère à venir travailler au Québec ou sur ce qu’avait été leur parcours professionnel au préalable? Les histoires d’immigration nous en apprennent beaucoup sur les autres et nous font voir notre réalité autrement.

George Kaoumi est cytologiste au Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Dans une autre vie il était médecin dans le nord de la Syrie, tout comme sa conjointe. À la suite d’un voyage touristique aux États-Unis en 2000, attiré par les valeurs occidentales d’égalité et de justice ainsi que par la perspective d’une vie meilleure pour ses enfants, le couple a décidé de se lancer dans l’aventure de l’émigration. La Syrie n’était pas en guerre alors mais l’instabilité était palpable dans cette région du globe. Le processus a duré quatre ans. En 2004, tous deux ont été acceptés par le Canada comme travailleurs qualifiés.

Renoncement

George a compris rapidement qu’il ne serait pas facile de travailler en tant que médecin au Québec. Les examens visant la reconnaissance des équivalences de formation ne l’inquiétaient pas mais l’accès à un poste en résidence est vite apparu comme un obstacle difficile à franchir.

« Comme il fallait trouver rapidement une solution pour gagner notre vie, nous avons opté ma femme et moi pour la formation en technique de biologie médicale, qui nous assurait un emploi », se souvient-il. Par la suite, elle s’est spécialisée en génétique et lui en cytologie, question de se rapprocher de ses intérêts en médecine.

« En devenant cytologiste, j’ai pu rester dans le domaine de la santé. Ce qui me motive à travailler de manière acharnée, c’est l’esprit de notre établissement. Le CUSM regroupe plusieurs équipes professionnelles compétentes et met en place les ressources nécessaires à notre travail de manière à pouvoir offrir à nos patients des diagnostics très fiables. »

Le plus difficile a sans doute été l’apprentissage du français, qu’il ne parlait pas du tout en arrivant. Il cherche encore à s’améliorer aujourd’hui. « Dès notre arrivée, nous avons pris un abonnement au câble pour avoir accès à toutes les chaînes de télévision québécoises. Et j’écoute la radio. Il faut habituer notre cerveau à fonctionner dans l’autre langue. »

George ne regrette pas. Non seulement parce que sa décision d’émigrer a mis sa famille à l’abri des affres de la terrible guerre qu’a connue la Syrie au cours des dernières années et qui n’a pas épargné sa ville natale, Hassaké. Mais aussi parce que son travail le stimule.


Il collabore étroitement avec des pathologistes tout en bénéficiant d’une certaine autonomie au travail, contribue à l’établissement de diagnostics de cancer, a participé à un congrès en cancérologie à Washington l’an dernier. Ses enfants font des études universitaires en médecine. Sociable, ouvert aux nouvelles idées, il s’est pleinement engagé dans sa vie au Québec. Et même dans son syndicat!

Obstacles superflus

Si les choses ont bien tourné pour lui et sa famille, d’autres médecins de sa ville d’origine, que la guerre a poussés à chercher refuge au Canada, désespèrent de ne pouvoir pratiquer la médecine chez nous. Si certain·e·s choisissent, comme George, de faire des formations techniques pour s’assurer d’un emploi, d’autres refusent de perdre leur statut professionnel et pensent à reprendre l’avion en sens inverse.

« On invite les immigrants à s’intégrer mais sans leur offrir des conditions favorables, déplore George. On n’a pas besoin d’être compétent en analyse du roman français pour faire sa part dans la société québécoise. » Il cite l’exemple des médecins syriens réfugiés en Suède qui ont appris la langue en même temps qu’ils étaient intégrés à un programme de deux ans de formation en médecine. Dûment évalués par la suite, 90 % d’entre eux ont pu travailler comme médecin.

Après avoir participé au congrès de l’APTS de novembre dernier, une expérience qu’il a grandement appréciée, il espère que les nouvelles personnes élues porteront jusqu’au gouvernement son message en faveur de l’inclusion. Car il attribue à l’ignorance les préjugés exprimés par une minorité face à l’immigration. À son avis, l’école devrait mieux préparer les jeunes à accueillir les immigrant·e·s. « Une personne immigrante qui est heureuse parce qu’elle se sent bien accueillie apportera davantage à sa société d’accueil. C’est gagnant-gagnant. »

Rédaction Chantal Mantha | Photo Alexandre Claude | 20 décembre 2019