Combattre le racisme comme on combat le sexisme

Combattre le racisme comme on combat le sexisme

Le 25 mai dernier, la mort tragique de George Floyd, cet homme noir étouffé sous le genou d’un policier de Minneapolis, a ravivé les tensions raciales aux États-Unis et a déclenché des semaines de manifestations partout à travers ce pays. Cet événement a également rouvert le débat au Québec et au Canada au sujet du racisme systémique.

L’expression est loin de faire consensus. D’un côté, nous avons des institutions comme la Ville de Montréal, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le gouvernement fédéral qui ont reconnu l’existence du phénomène et qui se sont engagées à lutter contre. De l’autre, nous avons la Fraternité des policiers et policières de Montréal et le gouvernement provincial, entre autres, qui refusent de reconnaître l’existence du racisme systémique et préfèrent parler de cas isolés de personnes racistes ou ayant des comportements racistes.

Un argument opposé à l’utilisation de l’expression « racisme systémique » revient souvent et consiste à dire que reconnaître ce phénomène reviendrait à traiter tou·te·s les Québécois·es de racistes, et que tenter de s’attaquer au problème reviendrait donc à « faire le procès de l’ensemble des Québécois·es ».

Pourtant, le Québec s’est déjà attaqué à un problème de discrimination systémique par le passé sans créer ce tollé, lorsqu’il s’est doté de la Loi sur l’équité salariale en 1996.


Cette loi, dont le but est de « corriger les écarts salariaux dus à la discrimination systémique fondée sur le sexe » pour les personnes occupant des emplois typiquement féminins, s’est avérée nécessaire car les précédentes tentatives pour atteindre l’équité salariale avaient été bien trop molles pour être efficaces. Le Canada a d’abord signé une déclaration de l’ONU en 1951 qui ne faisait qu’énoncer le principe à travail égal, salaire égal. Puis le Québec a adopté la Charte des droits et libertés en 1975, laquelle accordait aux femmes le droit de poursuivre leur patron si elles étaient victimes de discrimination, mais qui mettait le fardeau de la preuve sur les femmes lésées et impliquait des procédures judiciaires longues et coûteuses pour les travailleuses.

Autrement dit, les lois étaient neutres jusqu’en 1996 et les femmes avaient les mêmes droits que les hommes en termes de rémunération. Mais le système, notamment celui établissant la rémunération, était biaisé du fait qu’il sous-estimait les aptitudes typiquement féminines dans l’évaluation des emplois. Les femmes subissaient ainsi du « sexisme systémique ». Il fallait donc changer le système, ce que la Loi sur l’équité salariale de 1996 a permis de faire en grande partie. Le fardeau de la preuve repose maintenant sur les épaules du patron, qui doit procéder à des exercices d’équité salariale à ses frais tous les cinq ans pour s’assurer que l’équité est bien présente dans ses différents corps d’emploi. C’est un progrès indéniable, quoiqu’encore inachevé.

Est-ce que la lutte pour l’équité salariale équivalait à faire le procès de tous les hommes québécois? Non, certains hommes sont sexistes, mais pas tous, et indépendamment de la volonté de tout un chacun, le système était biaisé contre les femmes et il fallait résoudre ce problème. Cette logique de procès général ne s’applique également jamais lorsque l’on met sur pied une instance comme la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse pour identifier et corriger les problèmes systémiques dans le réseau de la santé et des services sociaux en lien avec la protection de la jeunesse. Et nul ne croit être personnellement mis en procès lorsqu’on dit qu’on a complètement échoué à protéger nos personnes les plus vulnérables dans les premiers mois de la pandémie, en raison de problèmes structurels dans notre système de santé.

Alors pourquoi observons-nous cette peur du « procès de tou·te·s les Québécois·es » lorsque vient le temps de regarder le sort réservé aux personnes racisées dans notre société?


Il faut se le dire, ce sort n’est pas rose du tout. Plusieurs études scientifiques ont démontré depuis longtemps qu’à compétences égales, les personnes racisées au Québec ont beaucoup plus de difficulté à se trouver un emploi que les Québécois·es « de souche ». Elles ont également plus de difficulté à se trouver un logement décent, parce que trop de propriétaires refusent de leur louer. Elles sont plus à risque de se faire contrôler et arrêter sans raison par la police, de se faire brutaliser lorsqu’elles sont arrêtées et de purger des peines sévères lorsqu’elles sont reconnues coupables. Les personnes racisées vivent plus de pauvreté que la moyenne et cette pauvreté se reproduit d’une génération à l’autre, bloquant l’avenir d’enfants qui ne demandent qu’à être heureux.

Lutter contre le racisme systémique devrait être tout aussi naturel que lutter contre le sexisme systémique. On constate qu’un système peut léser un groupe de la société sans que les lois ne soient nécessairement différentes pour les uns et les autres. La première étape vers la solution à ce problème est de reconnaître qu’il existe. Changer les mentalités peut prendre du temps, alors il faut s’y atteler dès aujourd’hui en corrigeant tous les éléments du système qui perpétuent de la discrimination, notamment la manière dont on est éduqué·e et socialisé·e différemment selon que l’on est un homme ou une femme, une personne racisée ou une personne blanche ou de souche.

Comme Martin Luther King, je fais le rêve qu’un jour plus personne ne serait jugé en fonction de sa couleur de peau, mais seulement de son caractère. Ce rêve est toutefois encore loin d’être une réalité. Chaque fois qu’une femme subit du sexisme ou qu’une personne subit du racisme, elles perçoivent qu’elles valent moins, qu’elles sont moins que les autres, en raison de quelque chose qui est hors de leur contrôle. C’est pourquoi il est temps de reconnaître et de dénoncer le racisme systémique dans notre société, tout comme nous l’avons fait avec le sexisme, et de le débusquer partout où il se trouve.

Rédaction Laure Letarte-Lavoie | Collaboration François Desrochers  | Illustration Laurent Pinabel | 22 juillet 2020