Cannabis et travail: vos droits et devoirs

Cannabis et travail: vos droits et devoirs

Maintenant qu’elle est légale, la consommation du cannabis est-elle compatible avec un emploi dans le réseau de la santé et des services sociaux? Mon employeur peut-il me sanctionner pour avoir fumé un joint? La légalisation du cannabis amène le service des relations de travail de l’APTS à répondre à des questions posées plus ouvertement depuis le 17 octobre.

Les conseiller·ère·s en relations de travail de l’APTS voient présentement apparaître dans le réseau des politiques concernant la consommation des drogues et de l’alcool au travail. Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a transmis un modèle de politique que les employeurs reprennent à leur compte. Certaines mesures ne sont réalistement pas applicables, d’autres ne sont tout simplement pas conformes au droit. On y parle par exemple de tolérance zéro, c’est-à-dire qu’aucune substance ne doit être détectée en cas de dépistage, alors qu’il est prouvé qu’on peut détecter des substances longtemps après que la personne ait été sous leur effet. Voyons donc de plus près ce qu’il en est.

Dans les établissements où des politiques non conformes au droit en vigueur sont en voie d’implantation, l’APTS transmet une lettre à l’employeur l’avisant que sa politique est discriminatoire et non fondée. Il est ainsi informé que le syndicat se réserve le droit de contester son application éventuelle.


En fait, le droit qui s’applique n’a pas changé avec la légalisation du cannabis. On suit la même règle de proportionnalité qui met dans la balance des intérêts liés à la sécurité en milieu de travail, relevant du Code civil du Québec et de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST), et le droit à la vie privée des salarié·e·s, relevant de la Charte des droits et libertés de la personne. Comme la Charte a préséance sur les autres lois, le droit à la vie privée doit être pris en compte en priorité. Il peut toutefois être relativisé lorsque la situation le justifie, comme par exemple s’il y a des motifs valables de croire que la sécurité au travail et la prestation de travail attendue sont compromises.

L’affaire Goodyear en 2007 est venue confirmer que l’employeur doit éviter d’obtenir des informations personnelles ou privées concernant ses employé·e·s sans motif valable ou raisonnable, notamment par des tests de dépistage de drogue et d’alcool. L’employeur doit avoir un motif valable d’enquêter et s’assurer de porter une atteinte minimale à la vie privée. Demander des échantillons au hasard constituerait une atteinte à la vie privée, à l’intégrité, voire à la dignité, car ces tests peuvent révéler bien des choses que l’employeur n’a pas à savoir. L’arrêt Godbout, prononcé en 1997 par la Cour suprême du Canada, est clair : la vie privée garantit aux individus une sphère d’autonomie personnelle à l’intérieur de laquelle ils peuvent faire des choix qui ne regardent qu’eux. Ainsi en est-il de la consommation de drogue ou d’alcool en dehors des heures de travail. En d’autres mots, l’employeur n’a rien à dire en autant que la prestation de travail est assurée.

Tests de dépistage

Quant à l’employeur, il ne peut porter atteinte à la vie privée d’un·e salarié·e en exigeant des tests de dépistage sans avoir des motifs valables et raisonnables de croire que la personne a les facultés altérées. Il peut cependant demander des tests dans les situations suivantes :

  • Quand, dans un milieu de travail dangereux, il a des raisons de croire que la capacité de la personne salariée à effectuer sa prestation de travail de manière sécuritaire est affectée par la consommation d’alcool ou de drogue;
  • Lorsqu’un accident de travail y semble lié;
  • Lors du retour d’un·e salarié·e qui a été en arrêt de travail en raison d’une dépendance.

Le fait de ne pas se présenter à un test de dépistage ne peut pas équivaloir à un test positif et générer automatiquement un congédiement. L’objectif du test est de veiller à la sécurité et de s’assurer que la personne ne travaille pas en ayant les facultés affaiblies − et non pas d’empêcher la consommation en tout temps. L’employeur pourra tout au plus évaluer si une mesure disciplinaire peut alors s’appliquer.

Le droit de l’employeur varie également selon les risques inhérents au poste occupé. On surveillera de plus près une personne qui opère de la machinerie lourde que celle qui fait du secrétariat.

Les tests de dépistage étant à ce jour imprécis, il sera sans doute difficile pour l’employeur de démontrer que le niveau de substance présent dans le corps affecte les facultés de la personne ou qu’elle est toujours sous son effet.

De façon générale, la consommation de drogue démontrée sur les lieux de travail est considérée comme une faute grave et entraîne le congédiement, à moins de circonstances atténuantes importantes comme l’ancienneté, la qualité du travail et un dossier disciplinaire vierge.

En résumé, les salarié·e·s peuvent consommer de la drogue ou de l’alcool dans leur vie privée en tentant toujours d’éviter d’en devenir dépendant·e·s. Cependant, il faut s’abstenir d’en consommer ou d’avoir les facultés affaiblies au travail. Et l’employeur ne peut effectuer des tests à sa guise, compte tenu des règles jurisprudentielles de respect à la vie privée.

Ceci dit, il demeure que la personne salariée doit s’abstenir de se présenter au travail sous l’effet de la drogue ou de l’alcool car cet état peut altérer sa prestation de travail et augmenter les risques pour sa santé et sa sécurité ainsi que pour celles des autres.

L I R E  L A  S U I T E :
Les lendemains du cannabis légal

Par Édith Demers et Chantal Mantha | Illustration Laurent Pinabel | 21 novembre  2018