Un régime d’assurance médicaments public et universel bientôt?

Un régime d’assurance médicaments public et universel bientôt?

Le Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments nous réservait une belle surprise en ce 12 juin. Son rapport final recommande en effet au gouvernement fédéral d’opter pour un régime public, universel et à payeur unique, une revendication que l’APTS fait sienne depuis plusieurs années.

À l’instar de plusieurs organisations alliées, l’APTS craignait que le Conseil favorise le modèle hybride privé-public qui prévaut au Québec depuis 1997. On sait trop bien qu’en permettant la coexistence de régimes d’assurance privés et public, le modèle québécois ne parvient pas à contrôler les coûts ni à corriger les iniquités.

Mais le Conseil indépendant mis en place dans le cadre du budget de 2018 a bien fait son travail et, surtout, ses calculs. L’exercice s’imposait. Parmi les pays qui disposent d’un régime d’assurance maladie universel, le Canada est le seul sans couverture universelle pour les médicaments d’ordonnance. En 2018, les Canadien·ne·s ont dépensé 34 milliards de dollars pour ces médicaments. Il n’y a que les États-Unis et la Suisse pour dépenser plus par habitant·e à ce chapitre.

En raison de la faiblesse de notre levier de négociation auprès des compagnies pharmaceutiques, le même médicament peut coûter dix fois plus cher au Canada qu’en Nouvelle-Zélande.


Quelque 20 % des personnes ont du mal à payer leurs médicaments au Canada, au point que trois millions d’entre elles n’utilisent pas leur ordonnance. Un million de Canadien·ne·s se privent de manger pour pouvoir se procurer leurs médicaments. Au Québec, on estime à environ 10 % la proportion de la population qui ne consomme pas les médicaments qui lui sont prescrits, faute de moyens.

Conscient qu’il s’agit d’un véritable problème de santé publique qui a un impact négatif sur l’ensemble de notre réseau de la santé, le Conseil a conclu de sa large consultation que la situation actuelle n’est pas viable à long terme et laisse trop de gens vulnérables sans couverture. Le président a même parlé « du projet national de notre génération » en appelant le gouvernement à achever ce qui avait été commencé avec l’adoption du régime d’assurance maladie universel.

Des recommandations précises

Il y a loin cependant de la coupe aux lèvres. Mais le Conseil y va de multiples recommandations, dont certaines sont très précises. Ainsi, le gouvernement fédéral devrait créer une agence canadienne des médicaments, chargée d’établir une liste nationale des médicaments d’ordonnance, un processus qui, de l’avis même du Conseil, sera long et laborieux.

De plus, Ottawa devra impérativement collaborer avec les provinces et territoires, ce qui suppose de les convaincre, de les financer pour les coûts du changement de régime au départ plus élevés et de les rassurer quant à la pérennité de ce financement. Le fait que le fédéral se soit désengagé au fil des ans du financement de l’assurance maladie a créé un précédent malheureux qui les met, avec raison, sur leurs gardes.

Au bénéfice de tout le monde

L’argument clé du Conseil, c’est bien sûr que la mise en place d’un régime public et universel à payeur unique permettrait aux gouvernements, aux employeurs et aux citoyen·ne·s de réaliser d’importantes économies. Grâce notamment au renforcement du pouvoir de négociation et à la réduction des coûts d’administration, les Canadien·ne·s économiseraient 5 milliards de dollars chaque année, ce qui représente une économie annuelle moyenne de 350 $ pour chaque famille. Les employeurs qui offrent une assurance médicaments économiseraient plus de 750 $ par employé·e annuellement.

À cela nous pourrions ajouter des considérations d’équité. On se rappelle qu’au Québec, les gens ayant accès à un régime d’assurance collective privé à leur travail doivent obligatoirement y recourir pour les médicaments. Le régime public est réservé aux personnes qui n’ont pas accès à un régime privé. Donc, les régimes privés couvrent les personnes qui ont un emploi, qui sont généralement en meilleure santé, alors que le régime public couvre surtout des personnes sans emploi ou à la retraite, plus pauvres, plus âgées, susceptibles de consommer davantage de médicaments. La facture du gouvernement est plus salée alors que les profits reviennent aux compagnies d’assurance.

De plus, les primes annuelles payées par les assuré·e·s des régimes privés sont très variables. Elles se situaient en 2015 entre 650 $ et 1500 $ pour les individus et entre 1400 $ et 2400 $ pour les familles (aucune gratuité n’est consentie pour les enfants). Et qu’elles travaillent à temps partiel ou à temps plein, qu’elles gagnent 50 000 $ ou 100 000 $ par an, les personnes salariées paient la même prime pour un même régime.

En conférence de presse à Ottawa en février dernier, le regroupement d’organisations auquel s’est joint l’APTS faisait valoir que le régime hybride québécois va à l’encontre de la logique assurantielle. Il génère des inégalités qu’il n’y avait certainement pas lieu d’étendre ailleurs au Canada. Alors que tou·te·s les Canadien·ne·s devraient avoir un accès égal au système de santé public et aux médicaments, tout diffère d’un océan à l’autre : les cotisations exigées, le montant des franchises, la liste des médicaments couverts.

Le gouvernement fédéral doit se garder de céder au puissant lobby qui entend freiner la mise en place d’un régime public et universel, le seul qui serait bénéfique tant pour les gouvernements, les employeurs que pour les citoyen·ne·s. Ottawa irait contre la raison et contre le bien commun s’il ne suivait pas les recommandations du rapport que vient de déposer le comité qu’il a lui-même formé et mandaté. L’assurance médicaments pourrait être un enjeu majeur de la prochaine campagne électorale fédérale. Restons à l’affût de ce qu’en diront les différents partis.

Rédaction Chantal Mantha | 21 juin 2019