Déconfiner la maltraitance

Déconfiner la maltraitance

Le 30 avril marque un triste anniversaire. L’an dernier, le Québec était secoué par le décès d’une fillette suivie par les services de la protection de la jeunesse à Granby.

Alors que les travaux de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse se poursuivent pour déterminer les failles de notre système de protection de la jeunesse et que des centaines de recommandations novatrices y ont été formulées pour mettre en place des solutions afin d’éviter qu’une telle tragédie se reproduise, nous nous devons de commémorer ce drame malgré la pandémie.

Nous le devons à l’entourage de Tilily, la fillette ainsi baptisée par Régine Laurent. Nous le devons aussi aux intervenant·e·s qui se dévouent corps et âme à assurer la protection de la jeunesse du Québec. Nous le devons surtout à tous les enfants et adolescents qui, confinés loin des regards, risquent de subir de la maltraitance, de la violence ou des agressions sexuelles.

En effet, le confinement représente un facteur de risque supplémentaire pour les personnes vulnérables. Alors qu’on rapporte une augmentation de 15% des appels à la ligne SOS Violence conjugale, on relève de façon préoccupante une chute draconienne des signalements à la protection de la jeunesse, de 30% à 50% selon les régions!

On observait plutôt une tendance à la hausse avant que n’éclate la crise de la COVID-19. On ne saurait s’étonner de ce revirement, sachant que bon nombre des signalements proviennent en temps normal des écoles, des services de garde éducatifs à l’enfance, des centres de loisirs, des organisations sportives et des organismes communautaires. Ces milieux de vie, qui constituent un filet de protection, ne sont plus en contact quotidien avec les enfants de leur communauté.

Les intervenant·e·s des services jeunesse sont préoccupé·e·s au plus haut point. Ces personnes sont centrales dans tout le processus de protection des enfants du Québec. De l’action en prévention et en soutien aux familles à l’application des mesures de protection et à la défense des cas devant les tribunaux, elles tiennent ce système à bout de bras.

Mais, privé·e·s des yeux et des oreilles indispensables sur le terrain, on craint que les mailles de ce filet collectif ne se relâchent et que, comme Tilily, des enfants échappent à notre vigilance et deviennent des victimes collatérales du coronavirus.


Il faut éviter à tout prix que la crise sanitaire dissimule une crise de maltraitance envers des enfants.

Lors d’une entrevue le 24 avril dernier, le ministre Lionel Carmant a présenté certaines initiatives pour resserrer les mailles du filet. L’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), qui représente notamment les intervenant·e·s à la protection de la jeunesse, ne peut que l’encourager dans ses démarches. Nous proposons de faire un pas de plus en mettant en place des unités locales, coordonnées par les intervenant·e·s des directions de la protection de la jeunesse (DPJ), regroupant tous les acteurs constituant le filet de protection dans chaque communauté, à l’image des comités de bienveillance qui se mettent en place sur la Côte-Nord.

La réouverture prochaine des écoles et des services de garde permettra aussi de rétablir une certaine vigilance. Il faudra nous assurer que le personnel des DPJ et des services de première ligne soit prêt à gérer une hausse importante des signalements lors de la reprise des activités pédagogiques.

L’adage veut qu’il faille tout un village pour élever un enfant. La protection des enfants est en effet une responsabilité collective. C’est vrai en tout temps, et ça l’est d’autant plus dans le contexte de la pandémie. Alors que l’heure est aux mouvements de solidarité, nous devons augmenter notre vigilance et agir pour le bien-être des enfants de notre entourage. En tant que membres de la famille, ami·e·s et voisin·e·s nous pouvons faire toute la différence. Nous permettrons aux intervenant·e·s des services jeunesse de remplir leur mission première en signalant des situations préoccupantes à la DPJ. Ensemble, déconfinons la maltraitance afin de protéger nos enfants.

Par Andrée Poirier, PRÉSIDENTE DE L’ALLIANCE DU PERSONNEL PROFESSIONNEL ET TECHNIQUE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX (APTS) | 1er mai 2020

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